Gabriel CramerGabriel Cramer
Gabriel Cramer
Gabriel Cramer, né le à Genève et mort le à Bagnols-sur-Cèze, est un mathématicien genevois[1], professeur de mathématiques et de philosophie à l'académie de Genève. Lui et son collègue Jean-Louis Calandrini sont souvent considérés comme les artisans du renouveau scientifique à Genève au début du XVIIIe siècle, par l'introduction de la philosophie naturelle newtonienne. Les contributions de Cramer aux mathématiques portent essentiellement sur l'algèbre et la géométrie, au travers de son unique ouvrage publié, un traité sur les courbes intitulé Introduction à l'analyse des lignes courbes algébriques, paru à Genève en 1750. Dans ce traité, on trouve notamment la méthode connue aujourd'hui sous le nom de règle de Cramer pour la résolution des systèmes linéaires d'équations, utilisant ce qui sera ultérieurement appelé déterminants. BiographieFamilleGabriel Cramer, fils de Jean-Isaac Cramer (1674–1751), médecin, et d'Anne Mallet, naît le à Genève[2]. Il est le frère cadet de Jean (1701–1773), professeur de droit à l'académie de Genève, qui occupa cinq fois la charge de syndic et une fois celle de premier syndic, en 1770 (la plus haute fonction politique de la République de Genève à l'époque). Les origines de la famille Cramer se trouvent au duché de Schleswig-Holstein, aux confins du Danemark et de l’Allemagne actuelle, mais on les retrouve à Strasbourg au début du XVIIe siècle, où un certain Christian Cramer exerce la fonction de premier échevin. Son fils Jean-Ulrich émigra en 1634 à Genève et y fut reçu, en 1668, avec ses fils, bourgeois, c'est-à-dire citoyen de plein droit. L’aîné de ces fils, prénommé Gabriel (1641–1724), homonyme du sujet de cet article et père de Jean-Isaac, fut un médecin réputé à Genève, et le premier membre de la famille à intégrer l’un des Conseils de la République (en l’occurrence le Conseil des Deux Cents) en 1677[3]. Études et formationSitôt sorti du Collège de Genève, à l'âge de 13 ans, il suit un enseignement complémentaire de belles-lettres pendant deux ans, puis est admis à suivre les cours de l'académie de Genève le 15 mai 1719. Élève du mathématicien Étienne Jallabert (1658–1723, titulaire de la chaire de philosophie depuis 1713), il termine ses études philosophiques avec une thèse sur le son (1722)[4]. À la suite du décès de Jallabert, un concours est ouvert afin de pourvoir la chaire de philosophie de l'académie, auquel il postule au côté de deux autres prétendants : un pasteur, Amédée de la Rive, et son ami Jean-Louis Calandrini ; c'est le pasteur qui l'emportera. Néanmoins, la candidature des deux jeunes savants n'a pas été vaine : pour rétablir un certain équilibre vis-à-vis des ecclésiastiques, qui détiennent maintenant les deux chaires de philosophie, et probablement enthousiasmés par leur prestation à l'occasion de ce concours, les membres du Petit Conseil de Genève décident de la création, pour Gabriel Cramer et son ami Jean-Louis Calandrini, d'une chaire de mathématiques[5] qu'ils partageront (1724)[6], leur enseignement portant sur algèbre et astronomie pour l'un, géométrie et mécanique pour l'autre. Cramer, alors à peine âgé de 20 ans, commence immédiatement à enseigner pendant que Calandrini voyage. Puis il entreprend à son tour un « grand tour » de formation qui le mène successivement :
Carrière scientifique et enseignementEn 1730 il concourt pour le prix de l'Académie royale des sciences de Paris, pour lequel la question était Quelle est la cause de la figure elliptique des planètes et de la mobilité de leur aphélies ? avec une pièce intitulée Mémoire sur le Système de Descartes et sur les moyens d’en déduire les orbites et les aphélies des planètes ; pour ce mémoire[8] il recevra un proxime accessit, devancé par Jean I Bernoulli[9]. En 1734, Cramer devient seul titulaire de la chaire de mathématiques, à la suite de la nomination de Calandrini comme professeur de philosophie. Ses principaux disciples sont :
Quatre étudiants soutiendront des thèses sous sa direction :
En 1739 il crée à Genève une société savante, parfois désignée comme « Société du samedi », qui réunit les principaux scientifiques genevois autour de discussions portant sur les sciences et la philosophie : ses membres les plus connus sont ses collègues professeurs à l'académie Jean-Louis Calandrini, Jean Jallabert et Amédée de la Rive, les naturalistes Charles Bonnet et Abraham Trembley, le médecin Théodore Tronchin et l'érudit Charles-Benjamin de Langes de Lubières[12]. En 1747 il accompagne le jeune prince héréditaire de Saxe-Gotha[13] à Paris, en tant que précepteur. Ce second séjour parisien, qui durera un an (de mai 1747 à mai 1748) sera pour lui l'occasion de revoir ses amis et correspondants Dortous de Mairan, Clairaut et Réaumur, d'assister régulièrement aux séances de l'Académie royale des sciences, mais aussi de nouer de nouvelles et fécondes relations, notamment avec d'Alembert et Condillac. En 1750, à la suite du départ de Calandrini, appelé à de nouvelles responsabilités politiques au Petit Conseil, Gabriel Cramer devient à son tour professeur de philosophie, élu par acclamation (c'est-à-dire sans concours)[14]. À cette occasion il prononce une harangue remarquée sur l'utilité de la philosophie dans le gouvernement de la cité (De utilitate philosophiæ in civitatibus regendis), qu'il fera imprimer et enverra à quelques-uns de ses correspondants. Principaux correspondantsGabriel Cramer a entretenu une correspondance régulière avec de nombreux savants à travers l'Europe : dès les années 1730 avec Dortous de Mairan, Clairaut, Maupertuis et Buffon à Paris, avec Jean I, Nicolas I et Daniel Bernoulli à Bâle, avec Stirling à Londres. Dans les années 1740 il entame une correspondance avec Euler et Formey à Berlin, avec Jean II Bernoulli (à propos de l'édition des œuvres complètes de son père) à Bâle, et avec Émilie du Châtelet. Enfin, à la suite de son second séjour parisien de 1747–1748, il ajoutera d'Alembert, Réaumur et Condillac à la liste de ses nombreux correspondants. Avec Charles Bonnet, il réfléchira à la question de la liberté humaine[15]. Affiliations académiques et politiquesCramer est élu fellow de la Royal Society le , correspondant de l'Institut de Bologne (1743), de l'Académie royale de Berlin (1746), des académies de Montpellier (1743) et de Lyon (1750). Malgré deux tentatives en 1748 puis 1750, avec le soutien de ses amis parisiens (notamment Dortous de Mairan, d'Alembert et Mme Geoffrin[16]), il ne parviendra pas à se faire élire comme associé étranger de l'Académie royale des sciences de Paris. Fortement investi dans la vie civique et politique genevoise, il fait partie du Conseil des Deux-Cents (1734) et du Conseil des Soixante (1751). Décès et hommagesGabriel Cramer tombe gravement malade en 1751, et entreprend un voyage dans le sud de la France pour restaurer sa santé. Il part accompagné de ses amis avocats Jean-Louis Du Pan (1698–1775) et Jean-Robert Tronchin (1710–1793), ainsi que de son neveu, le 21 décembre 1751, en direction de la Provence. Mais après une étape à Lyon, son état s'aggrave brusquement et il meurt sur la route de Montpellier (où ses compagnons pensaient trouver du secours), à Bagnols-sur-Cèze, le matin du [17]. Quelques jours avant son départ Gabriel Cramer avait rédigé un testament olographe dans lequel il définit entre autres choses ses volontés sur le devenir de sa bibliothèque. 300 ouvrages sont destinés à son neveu Jean Manassé Cramer, puis différents correspondants du mathématicien sont invités à choisir un nombre variable de volumes dans la bibliothèque. Une fois leurs sélections faite, il est proposé que la bibliothèque publique de Genève prélève les ouvrages qu'elle ne possède pas encore dans ses collections[18].
Dans un de ses éloges[19], on peut lire ces mots, retranscrits d'une lettre de Daniel Bernoulli :
Œuvres et productions scientifiquesL'Introduction à l'analyse des lignes courbes algébriques (Genève, 1750)Le travail qui l'a fait le plus connaître est son traité sur les courbes algébriques, intitulé Introduction à l'analyse des lignes courbes algébriques, publié en 1750 à Genève sous les presses de ses cousins imprimeurs Gabriel et Philibert Cramer. C'est un traité de près de sept cents pages, dont trente-trois planches de figures, dont le but est de proposer une classification des courbes algébriques des cinq premiers ordres selon le nombre et la position de leurs branches infinies. Il traite la plupart des questions classiques liées à l'étude des courbes algébriques (branches infinies, centres et diamètres, tangentes, extrema, courbure...) en utilisant uniquement des méthodes algébriques, à l'exclusion de tout calcul différentiel. Cramer place lui-même son traité dans la droite lignée des travaux d'Isaac Newton sur les courbes du troisième ordre, intitulé Enumeratio Lineæ Tertii Ordinis, paru en annexe de son Opticks en 1704[20]. Mais Cramer souhaite aller plus loin et expliciter les méthodes algébriques mises en œuvre par Newton ; dans sa préface[21], il écrit :
Il utilise ainsi de manière presque systématique un dispositif, hérité du parallélogramme analytique de Newton, qu'il nomme triangle analytique (emprunt aux Usages de l'analyse de Descartes[22] de l'abbé de Gua), et qu'il mobilise pour calculer des développements en série, afin de déterminer les branches infinies ou l'allure de la courbe au voisinage de l'origine[23]. C'est dans cet ouvrage, dans l'appendice I, qu'apparaît pour la première fois ce qui sera ultérieurement appelé la règle de Cramer pour la résolution des systèmes linéaires d'équations, préfiguration de ce qui sera appelé déterminants[24]. On y trouve aussi une démonstration de ce qui sera connu comme le théorème de Bézout, énoncé par Maclaurin dès 1720, qui dit que deux courbes algébriques de degré et se coupent généralement en points, et qui constitue une première approche de la théorie de l'élimination. Enfin on y trouve mention de ce qui est aujourd'hui connu comme le paradoxe de Cramer : celui-ci montre qu'une cubique est généralement définie par la donnée de neuf points, mais remarque que deux cubiques se coupent en général en neuf points : ce paradoxe sera bientôt partiellement levé par Euler, mais il faudra attendre les travaux de Julius Plücker au XIXe siècle pour en avoir la résolution complète. Le traité de Cramer fut bien reçu par ses contemporains[25], comme par les mathématiciens du XIXe siècle ; en témoigne cette citation de Michel Chasles en 1837 dans son Aperçu historique[26] : « Cramer donna, sous le titre : Introduction à l’analyse des lignes courbes algébriques (in-4°, 1750), un traité spécial, le plus complet, et encore aujourd'hui le plus estimé, sur cette vaste et importante branche de la Géométrie. » Cours de logiqueDurant l'hiver 1744–1745, Gabriel Cramer compose un cours de logique, rédigé en français, dont il subsiste aujourd'hui plusieurs copies manuscrites. Charles Bonnet, dans ses Mémoires autobiographiques[10], dit que ce cours était destiné à « servir à l'instruction d'une jeune dame d'un grand mérite » (que Jean-Daniel Candaux identifie comme Marie-Charlotte Boissier-Lullin, nièce de Charles-Benjamin de Langes de Lubières[27]) et que Cramer « en était assez satisfait pour n'être pas éloigné de le publier ». Ce cours de logique, en partie consacré à l'étude de la connaissance probable[28], servira par ailleurs de base à de Lubières pour la rédaction des articles Idée, Induction et Probabilité de l'Encyclopédie[27]. Liste des publicationsSi Gabriel Cramer n'a publié qu'un seul ouvrage, on retrouve quelques textes ou mémoires publiés dans les périodiques ou les registres des académies :
Édition scientifique des Œuvres de Jean et Jacques BernoulliGabriel Cramer, au début des années 1740, en bonne intelligence avec la famille Bernoulli (notamment Jean II et Nicolas), s'attelle au recueil, à l'annotation et à l'édition des œuvres complètes de Jean Bernoulli[29] en collaboration avec le libraire Marc-Michel Bousquet à Lausanne (4 volumes, 1742), puis de celles de Jacques Bernoulli[30] (2 volumes, 1744) sur la sollicitation des imprimeurs genevois Héritiers Cramer et frères Philibert. Il conclut ce travail avec l'édition de la correspondance entre Jean Bernoulli et Leibniz[31], toujours avec Bousquet (2 volumes, 1745). C’est un travail important pour lequel il recevra les hommages de d’Alembert, dans l’éloge[32] que ce dernier rendit à Jean Bernoulli, en 1748 :
Il a également supervisé l'édition genevoise des Elementa matheseos universæ[33] de Christian Wolff (5 volumes, 1732–1741). CorrespondanceGabriel Cramer a entretenu une correspondance nourrie avec les plus grands savants européens de son temps : les thèmes abordés montrent la richesse et la variété de ses centres d'intérêt, tout en permettant de réévaluer sa place et son rôle dans les réseaux de la République des Lettres que la pauvreté de son œuvre publiée pourrait conduire à être sous-estimés. Correspondants françaisLa correspondance de Cramer avec Dortous de Mairan[34] qui s'étend sur plus de vingt ans (de 1730 à 1751) et ne prend fin qu'avec le décès prématuré du genevois, est d'une très grande richesse. Elle est marquée par une réelle estime, voire une forte amitié, entre les deux hommes, malgré des positions scientifiques et philosophiques souvent différentes[35]. Dans leurs échanges ils discutent régulièrement de la validité des principes de la philosophie naturelle newtonienne appliquée au mouvement des planètes, à la forme de la Terre, ou encore à la propagation de la lumière et du son, mais aussi des aurores boréales ou de la brûlante question des forces vives. Enfin cette correspondance témoigne également de nombreux et fréquents échanges de livres ou de périodiques entre Paris et Genève, vivante illustration de la circulation des savoirs dans l'Europe savante du xviiie siècle. Le contenu des lettres échangées avec Buffon[36] dans la période 1730–1731 (alors que celui-ci signait encore simplement Le Clerc) rappelle que le futur naturaliste et administrateur du Jardin des Plantes s'est montré, dans la première partie de sa carrière, très intéressé par les mathématiques. Lors de la reprise de leur commerce épistolaire, en 1744, Buffon exerce la fonction d'Intendant du Jardin du Roy depuis cinq ans : les échanges entre les deux hommes consistent pour l'essentiel à discuter des nouvelles littéraires, mais on y apprend que Buffon a intercédé auprès de Martin Folkes, alors président de la Royal Society, pour que Cramer y soit reçu (ce qui sera le cas en février 1749). La correspondance avec Clairaut[37],[38],[39] se divise également en deux périodes : dans un premier temps (1729–1732) les échanges portent essentiellement sur des problèmes relatifs à la géométrie des courbes ; on y apprend aussi, dans sa lettre datée du 28 mars 1730, que Clairaut a fait admettre Cramer dans une société savante parisienne, alors concurrente de l'Académie royale des sciences, connue sous le nom de Société des Arts[40]. Dans la seconde période (1744–1751) il est davantage question de mécanique céleste et d'astronomie, notamment à propos de la théorie de la Lune de Clairaut. Il est également beaucoup question d'astronomie (mouvement de la Lune, précession des équinoxes, nutation) dans la correspondance avec d'Alembert[41],[42], qui ne commence qu'en juin 1748, après le second séjour parisien de Cramer. On y retrouve également quelques échanges intéressants sur les contenus du traité des courbes de Cramer, que ce dernier a fait parvenir à ses amis parisiens en août 1750 : d'Alembert s'y révèle lecteur attentif de ce traité, et complétera l'article « courbe[43] » de l'Encyclopédie pour y inclure de nombreuses références à l'ouvrage de Cramer. Enfin, la pensée philosophique de Gabriel Cramer, largement inspirée de Leibniz et de Christian Wolff, s'exprime au mieux dans sa correspondance avec Condillac[44], ardent partisan de Locke, entre 1747 et 1750. Autres correspondantsLa correspondance avec Jean I Bernoulli s'étend de 1727 à 1733 ; le principal sujet traité est celui des forces vives, Cramer renseignant son maître bâlois sur la réception de ses idées lors de son séjour en Angleterre et en France (1727–1729). Celle avec Nicolas Bernoulli, forte d'une quarantaine de lettres échangées entre 1727 et 1750, hormis quelques échanges ayant trait à l'édition des Œuvres de Jacques Bernoulli[30], porte davantage sur des sujets mathématiques : calculs algébriques, probabilités. C'est également dans cette correspondance que Gabriel Cramer, en 1728, apporte des éléments de réflexion importants sur un problème posé par Nicolas Bernoulli quelques années auparavant, aujourd'hui connu sous le nom de paradoxe de Saint-Pétersbourg, paradoxe qui sera résolu quelques années plus tard par son cousin Daniel[45]. L'édition des Œuvres de Jean Bernoulli fait l'objet de l'essentiel de la correspondance avec Jean II. Enfin, quelques lettres échangées avec Daniel Bernoulli à la fin des années 1730 permettent de voir Gabriel Cramer à l'œuvre en tant qu'expérimentateur, à propos d'expériences conçues par Daniel Bernoulli pour évaluer la force de rameurs, que Cramer a menées sur le Rhône[46]. Enfin, la correspondance conservée avec Euler porte sur une vingtaine de lettres, échangées entre 1743 et 1751. Elle s'engage sur la demande faite par Euler à Cramer de rédiger la préface[47] et de superviser l'impression de son ouvrage sur les isopérimètres[48], et se poursuit autour de la publication de la célèbre Introductio in analysin infinitorum, qui paraîtra en 1748, et dont le second volume a un objet très proche de celui traité par Cramer dans son Analyse des courbes. Bibliographie
Notes et références
Voir aussiArticles connexes
Liens externes
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