GwerzUne gwerz (en breton, au pluriel gwerzioù) est un chant breton (kan a-boz) racontant une histoire, de l'anecdote jusqu'à l'épopée historique ou mythologique. Proches des ballades ou des complaintes, les gwerzioù illustrent des histoires majoritairement tragiques ou tristes, avec un aspect fantastique[1]. Contrairement aux chansons telles que les complaintes, le plus souvent centrées sur quelques individualités, la gwerz est un chant qui parle de thèmes plus universels et qui relate des événements qui ont touché une large communauté[2]. La première trace est celle de la prophétie de Gwenc'hlan du nom d'un barde légendaire du Ve siècle. Une autre grande gwerz remonte au VIIe siècle et raconte le drame de la peste d'Élliant près de Quimper. L'ouvrage majeur de gwerzioù, le Barzaz Breiz, présente la Gwerz Skolan et Merlin barde, dont les détails légendaires se retrouvent dans l'ancienne littérature galloise. Ces chants populaires en langue bretonne se sont transmis oralement dans toute la Basse-Bretagne jusqu'au XXe siècle[3]. CaractéristiquesLe mot gwerz est masculin ou féminin selon les auteurs[4]. L'origine du terme, du mot latin versus (verset de psaume), conforte le caractère quasi religieux des textes chantés et l'imbrication originelle de la musique et des paroles[3]. En breton vannetais, Gwerzenn désigne le vers, la strophe ou le poème et parfois pour les lettrés tout texte rimé chanté, profane ou religieux[5]. La gwerz présente des caractéristiques qui rendent possible une analyse historique approfondie : il s’agit de pièces longues, qui montrent un important souci du détail dans les situations décrites et qui rapportent généralement avec une grande fiabilité le souvenir de noms précis de lieux et de personnes[6]. Cependant, plus que la conformité historique, la trame narrative doit parler à l'auditeur directement, qu'il puise ressentir des émotions ou faire un parallèle avec sa vie : Donatien Laurent rappelle, dans son étude sur La gwerz de Skolan, toute l’importance du rôle joué par « cette vérité à deux faces – vérité d’expérience et vérité des sentiments – qui est le principe vital de la gwerz »[7]. Les thèmes, d'une part, se rattachent aux grands mythes indo-européens, d'autre part, portent un regard distancié sur divers événements tragiques à caractère local : tantôt, les sombres complaintes évoquent des événements historiques ou légendaires (il s'agit alors du genre héroïque ou « homérique » de la littérature bretonne), tantôt les innombrables drames que doit affronter l'humanité et dont furent victimes, parfois des personnages illustres, plus souvent de simples particuliers appartenant à la région[8]. Certaines s'apparentent d'assez près aux anciennes « chansons de geste » par la dimension qu'elles accordent aux héros mis en scène et par les interventions fréquentes du surnaturel dans les aventures relatées. Plus nombreuses, toutefois, sont celles ayant pour thème un fait divers – incendie, naufrage, trahison, assassinat, épidémie… –, et qui constituent un moyen de faire circuler, oralement, l'information. Par exemple une gwerz raconte l'assassinat en 1649 à Ploumilliau du seigneur de Penanger par un rival pour une histoire de banc dans l'église ; ell a été recueillie par François-Marie Luzel en 1863 auprès d'un vieux chanteur aveugle, Yves Garandel. Une autre, chantée par Marc'harid Fulup, décrit le meurtre en 1695 d'une servante d'auberge à Lannion par deux clients, alors que ce crime ne fit l'objet d'aucune procédure judiciaire. Certaines gwerziou peuvent trahir la vérité : celle qui raconte la condamnation à mort en 1627 de François Montmorency-Bouteville pour s'être battu en plein Paris se termine en disant, à tort, qu'il obtint une lettre de rémission lui permettant d'échapper à la décapitation[9]. Le chant, en langue bretonne, se pose sur une mélodie parfois monotone pour exhumer les pleurs dans un « cri de douleur », élevé au rang de « chant sacré, lumineux qui a le pouvoir d'exorciser le mal »[10]. L'interprétation fait la part belle à la voix de manière monodique, même si les gwerzioù récentes incluent quelques instruments discrets : Denez Prigent mêle dans ses compositions musique électronique (nappes de synthé...) et instruments traditionnels (pipes, violon, accordéon...), dans Gortoz a ran par exemple[11]. De tradition plus récente, le terme "gwerz" est utilisé dans le sens du mot français "complainte". C'est le cas, notamment, pour la chanson de Denez Abernot "Gwerz ar vezhinaerien", dont le titre est souvent traduit par "la complainte des goémoniers". Exemples de gwerzioù anciennesLa gwerz intitulée « Paotred Plouyeo » (Les jeunes hommes de Plouyé)[12] conserve le souvenir d'une révolte de domaniers[13] des monts d'Arrée au XVe siècle :
— Théodore Hersart de La Villemarqué, Barzaz Breiz[14]. Une autre gwerz, « ar Falc'hun » (le Faucon), évoque cette même révolte, mais plus au sud, dans le Menez Du (Montagnes Noires)[15]. Elle évoque néanmoins également Plouyé :
Aymar de Blois de La Calande a rédigé en 1823 une étude érudite[16] sur une complainte de trente couplets relatant le mariage malheureux survenu à Landeleau en 1565 de l'héritière du manoir de Keroulas avec François du Chastel, seigneur de Châteaugal. C'est la plus ancienne complainte en langue bretonne dont le texte ait été conservé[17]. Elle a été traduite en français par Émile Souvestre dès 1834[18]. En résumé, la jeune héritière n'aimait pas le marquis de Mesle mais elle ne put faire fléchir sa mère dont la vanité se trouvait flattée d'une aussi riche alliance. La pauvre fille obéit mais, peu de temps après, elle mourut de chagrin de n'avoir pu être unie à celui auquel elle avait donné son cœur. Selon Édouard Vallin, cette gwerz était encore fréquemment chantée par les pâtres des Monts d'Arrée au milieu du XIXe siècle[19]. François-Marie Luzel en a recueilli une version à Duault (Côtes-du-Nord) [20]. La Villemarqué en a inclus une version dans le Barzaz Breiz. La rédemption de Skolvan, assassin d'un prêtre, incendiaire d'églises et tortionnaire de ses sœurs, est une autre gwerz célèbre. Un exemple actuel : Denez PrigentUn des plus célèbres auteurs et interprètes actuels de gwerzioù est Denez Prigent, ayant notamment écrit Gortoz a ran, entendue dans le monde. Dans une sorte de « pleur », sa voix joue du vibrato et place entre les notes des quarts de ton ou « notes lamentatives »[21]. Après son album Sarac'h, pendant dix ans, il a écrit 116 gwerz d'environ 80 couplets chacune[22]. Il enregistre douze d'entre elles dans l'album Ul liorzh vurzudhus (« Un jardin enchanté ») en 2015, dont une qu'il traduit en anglais. Ses gwerz respectent la structure traditionnelle du genre, comme on peut le voir, par exemple, dans sa gwerz Copsa Mica enregistrée sur son premier album. En effet, une gwerz aborde un événement catastrophique, mais ne le décrit jamais directement. Après une introduction, toujours présente et rappelant la vérité du fait qui va être chanté[1], la parole est généralement donnée à un ou plusieurs personnages qui vivent l'histoire. Ils vont ainsi pouvoir raconter ce qui leur est arrivé, à eux, à leur famille, etc. Dans Copsa Mica, le début se place à l'extérieur de la ville et fait comprendre que la situation est grave : « À Copșa Mică le soleil s'est levé mais la nuit est restée ; les bois sont noirs, les collines sont noires, noirs les jardins et les maisons […] ». À ce moment, l'auditeur ne sait pas vraiment ce qui se passe. Le chanteur décrit ensuite l'arrivée de deux femmes qui marchent et qui se parlent. Leur dialogue développe le sujet proprement dit : on enterre quelqu'un, comme souvent à cet endroit. C'est l'occasion pour Katerina d'expliquer que tous ses enfants ont été obligés d'aller travailler à l'usine qui les a tous rendus malades ; certains sont déjà morts, les autres suivront. Dans son album Mil hent, sorti en 2018, Ar marv gwenn respecte également la forme originelle de la gwerz, écrite en octosyllabes avec des rythmes ternaires et sur le plan musical elle intègre les notes bleues « lamentatives »[2]. Le texte est traduit dans son recueil de gwerz et poèmes Kañv (Skol Vreizh). Notes et références
Voir aussiBibliographieOuvrages
Actes du colloque de Brest du 18-20 mars 1999
Articles
Documentaires
Liens externes
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