Han KangHan Kang
Han Kang ou Han Gang (en coréen : 한강), née le à Gwangju, est une romancière sud-coréenne. Elle est la lauréate du prix Nobel de littérature 2024 « pour la profondeur de sa prose poétique qui s'oppose aux traumatismes de l'histoire et révèle la fragilité de la vie humaine ». Ses romans mettent souvent en scène un personnage féminin dont la confrontation avec son entourage ou avec la société révèle la vulnérabilité mais aussi la révolte, comme dans La Végétarienne (2007) et Pars, le vent se lève (2010). Son usage du silence apporte un rythme à ses romans mais établit aussi une connexion entre différents éléments opposés. La tonalité de son œuvre mêlant fréquemment mélancolie et ressentiment est souvent présentée par la critique comme une illustration du concept coréen de han. Sa production prend souvent pour toile de fond l'histoire contemporaine de la Corée du Sud, notamment la période dictatoriale. Celui qui revient (2014) est évocateur du soulèvement de Gwangju de 1980, et Impossibles adieux (2021) du soulèvement de Jeju de 1948. Ses engagements lui valent d'avoir été mise, au milieu des années 2010, sur la liste noire de la présidente sud-coréenne Park Geun-hye, fille de l'ancien dictateur Park Chung-hee. BiographieNée à Gwangju, Han Kang est la fille de l'écrivain Han Sung-won. Alors qu'elle vient d'avoir dix ans, sa famille s'installe dans le quartier Suyu de Séoul (elle évoque cet épisode dans Leçons de grec / Hirabeo shigan). Elle grandit dans un environnement parental modeste, entourée des livres que son père accumule. Elle indique avoir découvert tôt dans sa jeunesse des auteurs coréens comme Kang So-cheon (ko) (Le Studio qui photographie les rêves) et Ma Hae-song (ko) , ou étrangers comme Astrid Lindgren (Les Frères Cœur-de-lion), avant de se plonger dans la littérature russe plus tard lors de son adolescence en lisant Dostoïevski et Pasternak. Elle cite Lim Chul-woo comme l'un des auteurs qui l'ont profondément marquée à cette période de sa vie[1]. Elle étudie la littérature coréenne à l'université Yonsei d'où elle sort diplômée en 1993[2]. Elle commence une carrière littéraire quand l'un de ses poèmes est publié dans le numéro d'hiver de la revue Littérature et Société (Munhakgwa sahoe). Sa carrière prend un tour plus officiel lorsque sa nouvelle L'Ancre rouge (Bulgeun dat) remporte le concours printanier du quotidien Seoul Shinmun (en). Depuis lors, elle a remporté le prix Yi Sang en 2005, le prix de l'artiste d'aujourd'hui et le prix de littérature coréenne[3]. Elle enseigne l'écriture créative à l'Institut des arts de Séoul de 2007 à 2018[2], puis gère une librairie à partir de cette date dans le quartier de Jongno-gu à Séoul[4]. Elle épouse Hong Yong-hee, enseignant à la Kyung Hee Cyber University (en)[5] et critique littéraire, avec qui elle a un fils, et dont elle divorce par la suite[6]. Pendant la présidence de Park Geun-hye (2013-2017), elle est placée sur une liste noire, comportant près de 10 000 noms et censée permettre aux autorités de surveiller les artistes hostiles au gouvernement et de les priver de subventions[7]. Han Kang reste cependant discrète sur ses opinions politiques, et ne fait que de rares interventions en public[8]. ŒuvreDébuts littérairesLa première œuvre de Han Kang, Un amour de Yeosu publiée en 1995, attire l'attention de la critique en raison de sa narration fine et précise[9]. Han Kang écrit ensuite La Végétarienne et son œuvre jumelle La Tache mongole (aussi intitulée la Tache mongolique, Monggo banjeom) malgré ses blessures aux poignets à la suite d'un rythme intense d'écriture à l'ordinateur, alors qu'elle souffre d'une maladie irritant toutes ses articulations. La Végétarienne est un recueil de trois nouvelles : La Végétarienne, La Tache mongole et L'Arbre en feu (Namu bulkkot, aussi traduit Les Flammes des arbres). Obsédée durant ses années universitaires par la poésie de Yi Sang, notamment par le vers « Je pense que les humains devraient être des plantes », et pensant que ce vers fut écrit en réaction à la colonisation japonaise, elle s'en est inspirée pour écrire La Végétarienne. La carrière littéraire de Han Kang débute réellement avec la publication de cinq poèmes dont Hiver à Séoul (Seo-urui gyeo-ul), dans le numéro d'hiver de la revue Littérature et Société (Munhakgwa sahoe) en 1993. Sa carrière dans le genre de la fiction démarre l'année suivante avec son œuvre Ancre rouge (Bulgeun dat) qui remporte le concours printanier du quotidien Seoul Shinmun (en). Son premier recueil de nouvelles Un amour de Yeosu, a été publié en 1995. En 1998, Han Kang participe au programme international d'écriture de l'université de l'Iowa. Han Kang remporte par ailleurs le 25e concours de la Littérature coréenne avec sa nouvelle Bébé Bouddha en 1999. Elle est lauréate du Prix Yi Sang en 2005, prix que son père a lui aussi remporté en 1988. Elle remporte aussi le prix littéraire Dong-ni en 2010 pour Pars, le vent se lève[2]. Premiers grands succèsHan Kang se démarque de la littérature coréenne contemporaine à la mode dans le pays. Alors que les romans les plus populaires dans la péninsule versent souvent dans le registre très positif et bienveillant, elle s'en démarque en proposant des romans qui explorent les douleurs de sa société et de ses individus[10]. C'est d'abord dans les cercles littéraires du pays que la qualité de son travail est reconnu, et elle ne bénéficie que tardivement d'une certaine notoriété dans le grand public[8]. Dans La Végétarienne qu'elle publie en 2007, Han Kang explore le sujet de la violence corporelle, psychique et sexuelle au travers de la thématique de la conversion au véganisme de la narratrice de l'œuvre, Yeong-hye, et de la pression sociale exercée contre ce choix par son entourage. Inspiré d'une autre nouvelle publiée plus tôt, le roman est adapté au cinéma dès 2009[11]. L'auteure y développe le sujet de la distanciation avec la société, allant jusqu'à des épisodes proches de la psychose[12]. Premier succès populaire, le livre se vend à plus d'un million d'exemplaires en Corée du sud[2]. Pars, le vent se lève publié en 2010 opte pour la forme d'une enquête qui voit sa narratrice Jeong-hee faire des recherches sur la mort de l'une de ses amies. Dans un Séoul hivernal, les thème de l'isolement et de la solitude contemporaine et urbaine sont explorés[13]. Han Kang explore des thématiques similaires dans Blanc (hangeul : 흰) publié en 2016. Une narratrice s'y interroge au sujet de sa sœur ainée, morte deux avant sa propre naissance, alors qu'elle évolue isolée dans une grande ville européenne[12]. Son roman Leçons de grec publié en 2011 continue d'explorer le thème de la perte[14] et de la solitude, alors qu'un début de romance entre deux narrateurs met en lumière leurs manques respectifs : l'un est un professeur de grec ancien qui devient progressivement aveugle, et l'autre, récemment divorcée et ayant perdu la garde de son fils, doit faire face à un problème de mutisme et espère retrouver la maitrise du langage par l'apprentissage de cette langue[15]. Elle publie en 2014 Celui qui revient qui prend pour toile de fond le soulèvement de Gwangju de 1980 et sa répression brutale par le régime militaire. Elle découvre le sujet en trouvant par hasard à l'âge de douze ans dans un livre de famille des photos de corps mutilés à la baïonnette, prises dans sa ville natale[16]. Elle poursuit son exploration des violences politiques qui émaillent l'histoire contemporaine de la Corée du Sud en publiant en 2021 Impossibles Adieux qui évoque les souvenirs laissés par le soulèvement de Jeju de 1948[17], où elle a elle-même passé quatre mois en 1996 et où elle a rencontré des témoins de la répression[18]. Vers la reconnaissance internationaleHan Kang bénéficie de la première traduction de l'une de ses œuvres en français en 2011 avec la publication de sa nouvelle Les Chiens au soleil couchant, puis de la publication de Pars, le vent se lève en 2014 (publié en Corée en 2010)[19]. Han Kang fait partie de la dizaine d'auteures sud-coréennes participant à l'anthologie de nouvelles Nocturne d'un chauffeur de taxi publiée en 2014. Le lauréat du prix Nobel de littérature 2008 Jean-Marie Le Clézio et résidant régulier dans le pays en fait l'éloge : il souligne notamment que les nouvelles sélectionnées « témoignent de la vitalité de la littérature sud-coréenne contemporaine ». La nouvelle de Han Kang en particulier fait preuve selon lui d'une grande attention aux détails et d'une intrication narrative très soignée[20],[21]. La première traduction de l'un de ses romans en anglais, La Végétarienne en 2016[11] (publié initialement en coréen 2007), lui vaut l'essor de sa reconnaissance internationale. Cette traduction lui permet de décrocher l'International Booker Prize en 2016[17] et d'être retenue la même année par le New York Times dans sa liste des dix meilleurs romans de l'année[22]. Le journal Le Monde mentionne son nom en 2023 parmi les auteurs de Corée du Sud à « retenir sans plus attendre », aux côtés de Hwang Sok-yong et de Ko Un[16]. Elle reçoit en France le prix Médicis étranger en novembre de la même année pour Impossibles Adieux[23]. Le jeudi 10 octobre 2024, elle reçoit le prix Nobel de littérature 2024[24] « pour la profondeur de sa prose poétique qui s'oppose aux traumas de l'Histoire et révèle la fragilité de la vie humaine ». C'est la première personnalité sud-coréenne (et coréenne) et, par conséquent, la première personne à écrire en hangeul à recevoir ce prix ; elle est également la cinquième personnalité asiatique[25] et la première femme asiatique[26] à être récipiendaire du prix Nobel de littérature. Autres productions et participations artistiquesBébé Bouddha et La Végétarienne ont été adaptés au cinéma. Le film Vegetarian[27], réalisé par Lim Woo-seong en 2010, a été sélectionné parmi 1 022 candidatures dans la sélection officielle du festival du film de Sundance. Il obtient également un succès critique au festival international du film de Busan[28]. Elle participe au projet la Bibliothèque du futur de l'artiste écossaise Katie Paterson (en) en fournissant un manuscrit en 2019. Celui-ci ne doit être révélé qu'en 2114 et imprimé avec les arbres plantés autour de cette bibliothèque[29]. StyleL'utilisation du silence dans ses productions est fréquent, et est utilisé pour lier entre eux des caractères et des notions opposés (ordre et désordre, intime et société, animal et végétal, ou encore rationnel et irréel). Ce silence est aussi perçu comme l'expression du concept coréen de Han, qui mélange le chagrin, la frustration, et la mélancolie[30]. Le personnage central de ses romans est le plus souvent une femme, en position d'opposition mais aussi de vulnérabilité vis-à-vis de l'entourage et/ou de la société. La Végétarienne (2007) et Pars, le vent se lève (2010) illustrent l'usage d'une femme par Han Kang pour porter la narration[30]. Han Kang est décrite comme « [ayant] aussi une voix féministe, sans être militante, mais une voix de femme qui interroge aussi la société coréenne » par son traducteur et éditeur français Pierre Bisiou[10]. La poésie de son écriture est souvent mise en avant, avec un style en coréen très dépouillé et épuré[8]. L'onirisme est très présent dans Impossibles Adieux (2021)[10]. Publications
Prix
SourcesNotes et références
BibliographieEun Jin Jeong, « La conscience du corps confronté à la violence chez Han Kang », dans Gérard Siary, Toshio Takemoto, Victor Vuilleumier et Yinde Zhang, Le corps dans les littératures modernes d’Asie orientale : discours, représentation, intermédialité, Paris, Collège de France, (ISBN 978-2-7226-0581-7, DOI 10.4000/books.cdf.11975, lire en ligne). Liens externes
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