Jean-Baptiste SayJean-Baptiste Say
Jean Baptiste Say, né le à Lyon et mort le à Paris[1], est le principal économiste classique français[2]. Industriel du coton, il était l'un des entrepreneurs huguenots de cette industrie alors en plein essor. Il fut également journaliste. Il est réputé pour ses positions libérales. Il est l'auteur de la distinction tripartite « production – répartition – consommation », devenue classique. Celle-ci sert de plan au Traité d'économie politique, son maître-ouvrage paru en 1803. Il est également connu pour la « loi des débouchés » ou loi de Say. En outre, il fut l'un des premiers économistes à étudier l'entrepreneuriat et les entrepreneurs, conceptualisés comme organisateurs et moteurs du tissu économique[3]. BiographieFamille et formationLa famille Say est une famille protestante, issue de l'arrondissement de Florac, en Lozère. Elle quitte la région lors de la révocation de l'édit de Nantes et se réfugie à Genève, dont elle acquiert la bourgeoisie et où naît le père de Jean-Baptiste Say, Jean Étienne Say, le . Il s'installe à Lyon où il devient l'employé d'un négociant, Honoré Castanet, né de parents protestants de Nîmes et dont il épouse la fille Françoise en 1765. Il pratique alors le négoce de soieries. Jean-Baptiste Say naît deux ans après leur mariage, le . Il a trois frères, Denis (1768-1769), Jean-Honoré dit Horace (1771-1799) et Louis (1774-1840), créateur des sucreries Say devenues en 1973 Beghin-Say[4]. Ses premières années d'existence se passent à Lyon, où son père lui fait dispenser une éducation relativement libérale, en particulier avec la volonté de soustraire ses fils à l'influence de l'Église catholique et de son système d'éducation. C'est sans doute, parmi d'autres, la raison pour laquelle Say ira en pension à Écully pour y suivre les cours de deux Italiens dont l'enseignement différait sensiblement des règles lourdes du cadre contrôlé par l'Église. Le déménagement de la famille à Paris marque un tournant dans sa vie et il commence à 15 ans son apprentissage en travaillant comme commis dans une maison de commerce, du fait des revers de la fortune familiale. Au gré de changements de fortune, il peut finalement se rendre en Grande-Bretagne à 19 ans[5], accompagné de son frère Horace. L'objectif du voyage est de se former aux pratiques commerciales et à la langue anglaise. Il durera deux ans. Au cours de ces années 1785-1786, la Grande-Bretagne connaît une de ses périodes de développement industriel les plus brillantes et Say est aux premières loges pour l'observer. Son séjour s'achève soudainement quand son employeur meurt et il rentre alors à Paris. Clavière, un assureur, protestant genevois comme son père, l'embauche comme employé de banque. Il a alors 21 ans. En 1789, il écrit une courte pièce la Tante et le Prétendu, puis le Curé Amoureux, pièce anticléricale qui sera représentée dans un théâtre du boulevard. Son activité d'écrivain de théâtre durera jusqu'en 1795, où il écrit un opéra comique, les Deux Perdrix. Révolution françaiseL'entrée de Jean-Baptiste dans la compagnie d'assurance d'Étienne Clavière marque un tournant dans sa vie. En devenant un de ses collaborateurs, il entre dans le groupe des Girondins et se rapproche de l'Atelier de Mirabeau. Il est alors, à 21 ans, un partisan enthousiaste de la Révolution française et s'engage dans la compagnie des Arts de Paris qui sera amalgamée dans le 9e bataillon bis de volontaires de Paris également appelé bataillon de l'Arsenal. Il est républicain et ne cessera jamais de l'être. Il va, au cours de cette même période remplir des fonctions de « grouillot » (s'occupant des abonnements) dans le journal de Mirabeau, le Courrier de Provence. C'est chez Clavière que Jean-Baptiste lira pour la première fois en anglais les Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, publiées par Adam Smith en 1776. La mort de Clavière et le développement de la Terreur marquent pour Jean-Baptiste un nouveau tournant. Chamfort, Pierre-Louis Ginguené et Andrieux lui proposent de fonder une revue paraissant tous les dix jours et ayant une ambition encyclopédique : La Décade philosophique, littéraire et politique. Elle est fondée le 10 floréal an II. Il contribue à la revue en rédigeant des articles de circonstance sur les questions littéraires, de théâtre, de poésie ou de comptes rendus d'ouvrages. Il conserve la fonction de la rédaction générale jusqu'à sa nomination au Tribunat. Les références qu'il utilise dans la Décade témoignent de son expérience personnelle et de ses liens avec la culture anglo-saxonne. Il se réfère plus facilement à Swift ou à Franklin qu'à Rome ou Athènes. Opposition à l'esclavageIl s'engage contre le rétablissement de l'esclavage par Napoléon après son coup d'Etat de 1799, quand « la censure et la propagande officielle »[6] du nouveau régime « imposent une idéologie massivement inégalitaire »[6], à une opinion publique souvent hostile, selon les rapports de police, via de nombreux articles de presse, brochures et gros ouvrages souhaitant rejeter l'apport des Lumières, « ouvertement au profit de théories pseudoscientifiques visant à classer et hiérarchiser »[6] les « races » humaines, « tout en proclamant hautement la vocation » des « êtres supérieurs » à « civiliser » les autres hommes[6], selon les analyses détaillées des publications de l'époque réunies par l'historien Yves Benot dans un livre de 1992[7]. Au même moment se manifeste la persistance de « pôles de résistance »[6],[7] à la censure, émanant d'anti-esclavagistes, pas seulement les plus connus comme l'abbé Henri Grégoire mais aussi d'autres libéraux plus modérés incluant aussi Amaury Duval, Pierre-Louis Ginguené, Joseph-Marie de Gérando, Dominique Dufour de Pradt et Antoine Destutt de Tracy[6],[7]. Industriel sous l'EmpireEn 1803, il publie son œuvre la plus connue, Traité d'économie politique. L'œuvre est mal accueillie par Napoléon Bonaparte qui lui demande de réécrire certaines parties de son traité afin de mettre en avant l'économie de guerre basée sur le protectionnisme et les régulations. Le refus de Say l'empêcha de publier une seconde édition du traité, et il fut révoqué du Tribunat en 1804, après avoir passé quatre années à la tête de la section financière[5]. Les dispositions prises par Bonaparte lui interdisant toute activité comme journaliste, il devient entrepreneur dans la production de coton. Il commence par apprendre à manier les machines des métiers à tisser qui se trouvaient dans les murs du conservatoire des arts et métiers et qui avaient été ramenées par les armées de la Révolution pour certaines. Le secteur en est alors à ses débuts. La filature débute dans les bâtiments de l'ancienne abbaye d'Auchy (Pas-de-Calais), avec 80 ouvriers et des métiers qu'actionnait un moteur hydraulique. L'affaire se développe rapidement et en 1810, accrue de bâtiments nouveaux, la manufacture occupait 400 ouvriers[2] ; on y filait 100 kilos de coton par jour. En 1810 toujours, le préfet désigna Jean-Baptiste Say pour participer à un « conseil des fabriques et manufactures ». Il adopte une politique patronale assez paternaliste, et se préoccupe de la question sociale. Son ami Pyrame de Candolle rapporte ainsi que « au lieu de payer ses ouvriers le samedi, il les payait le lundi. Il obtenait par là que leur solde servait pendant la semaine à nourrir leur famille et qu'il ne restait que l'excédent pour le cabaret du dimanche. » Enseignant sous la RestaurationAprès la première abdication de Napoléon en 1814, il peut exprimer plus librement sa pensée économique et il publie la seconde édition de son Traité en 1814. La restauration de la monarchie lui permet d'être reconnu en France[4]. Grâce à ses nombreux ouvrages d'économie politique, il est invité à donner des conférences à l'Athénée royal en 1816, et est nommé, en 1819, professeur à la chaire d'économie industrielle au Conservatoire national des arts et métiers[8]. En 1825, il devient membre du conseil de perfectionnement de l'École Spéciale de Commerce et d'Industrie qui devint par la suite ESCP[9]. Toutefois Jean-Baptiste Say n’est pas le fondateur de cette école de commerce, contrairement à une idée largement répandue[10],[11],[12]. En 1830, peu de temps avant sa mort, il fut nommé au Collège de France, où il occupa la première chaire d'économie politique[2]. Jean-Baptiste Say est mort le à Paris, et enterré au cimetière du Père-Lachaise (39e division)[13]. À sa mort, il était l'économiste français le plus connu[14]. Partisan du libéralismeJean-Baptiste Say défend une pensée économique libérale : il met en avant la propriété privée, la libre-concurrence et un rôle de l'État aussi limité que possible. Il se situe en fait dans le prolongement direct de l'école d'économie politique libérale française : Gournay, Turgot, François Quesnay ou du Pont de Nemours[15]. Notion d'utilitéDans la tradition de l'école française, et notamment en s'inspirant de l'abbé de Condillac, il reprend la théorie de la valeur-utilité : « l'utilité [des] choses est le premier fondement de leur valeur »[16]. Il distingue marchandises et richesses et souligne que la production est avant tout création de « richesses », donc d'utilité. En partie pour cela, il est considéré comme un précurseur de l'école autrichienne d'économie. Rôle moteur de la production dans la création des débouchésJean-Baptiste Say est également connu (et probablement surtout) pour avoir formulé dans son traité d'économie politique (1803) les grandes lignes de ce que John Maynard Keynes appellera la loi des débouchés. Selon Say, c'est l'offre qui crée le revenu. Et puisque les consommateurs utilisent intégralement leur revenu, pour créer de la croissance, il faut donc stimuler l'offre. Cette loi est porteuse de conséquences positives et optimistes :
Toujours selon Say, l'économie (qu'on n'appelle pas encore économie de marché) est capable de s'autoréguler de façon spontanée et d'opérer un équilibrage spontané des flux économiques (production = consommation + investissement, épargne = investissement). Les crises de surproduction générales sont impossibles : il ne peut y avoir de déséquilibre global dans les économies de marché et de libre-entreprise. Say ne nie pourtant pas la possible création d'excédents de marchandises qui ne trouvent pas preneurs, mais les crises de surproduction ne touchent, selon lui, que certains secteurs et ne sont pas durables. Cette loi est parfois réduite à tort à la formule « toute offre crée sa propre demande », alors que Say écrit « un produit terminé offre, dès cet instant, un débouché à d’autres produits pour tout le montant de sa valeur ». Pour Say, il n'y a donc pas de différence entre ce qu'il appelle débouché et production (dans la terminologie moderne : demande et offre). Cependant, comme Say accorde à la production le rôle moteur, il est rétrospectivement classé parmi les défenseurs de l'économie de l'offre. Celle-ci s'oppose à l'économie de la demande, notamment promue par Malthus, et plus tard Keynes qui, en introduisant le concept de demande effective, critiquera les principes de Say, dénoncés comme tout à fait irréalistes. Liberté des prix et des échangesJean-Baptiste Say développe également l'idée que la libre fixation des prix et des revenus sur le marché est la condition de la « justice économique ». Approfondissant sa défense du libéralisme économique, il plaide pour le libre-échange en faisant valoir que les produits étrangers sont payés avec des produits fabriqués par l'économie nationale, et de ce fait stimulent la demande : « …que les achats qu'on fait à l'étranger soient acquittés en marchandise ou en argent, ils procurent à l'industrie nationale des débouchés pareils »[18]. Actions de l’ÉtatEffets nuisibles de l'interventionnisme sectorielSay dérive la valeur de l'utilité, et précise que
Il enchaine
Cela implique que toute action de l’État pour faire monter la consommation d'un produit ou en faire monter les prix, puisqu'elle a pour effet d'obliger l'acheteur à payer pour un bien qui ne lui sera pas livré (l'utilité attendue du produit, que Say distingue du produit lui-même) est économiquement nuisible. Ce raisonnement s'applique aussi bien, symétriquement, à l'encontre de toute baisse forcée des volumes consommés ou des prix. Effets nuisibles des taxes spécifiquesSay souligne les effets négatifs de taxes spécifiques sur tel ou tel produit, qui les renchérissent et privent alors les consommateurs de leur utilité.
De plus, lorsque le produit taxé est utilisé pour la production, la production générale s'en trouve réduite, au détriment de l'ouvrier et de l’État lui-même :
Effet nuisible du fisc sur la productionEnfin plus généralement, contre l'avis de David Ricardo, Say considère comme évident que les impôts ont un effet négatif sur la production
Le meilleur impôt est donc le plus petit possible. Effets positifs d'une bonne utilisation des ressources fiscalesCes critiques ne doivent pas se comprendre comme un rejet de l’État et de tout le système fiscal : Say reconnait la légitimité de l’État et une valeur à certaines de ses actions. Il admet que l'impôt devient productif quand il sert à « créer des communications, creuser des ports, élever des constructions utiles ». Inutilité de l'action macroéconomique de l’ÉtatEnfin, même si les déséquilibres temporaires sont possibles, Say considère que les crises générales sont impossibles. Une intervention de l’État serait donc inutile - en plus que d'être néfaste, comme vu plus haut - (vision reprise par Ricardo dans sa démonstration de ce que la croissance économique débouche sur un état stationnaire, en opposition à la vision d'une croissance illimitée exposée par Adam Smith.) Disponibilité infinie et gratuité des ressources naturellesJean-Baptiste Say n'a pas compris que les ressources naturelles (le capital naturel) peuvent sur une planète finie être épuisables ou si coûteusement renouvelables qu'elles peuvent être surexploitées. Il écrit dans le Traité d'économie politique (1803)[21] :
Il enseigne dans le cours complet d'économie politique (1828-1829)[22] :
Influence et postéritéJean-Baptiste Say a inspiré les tenants de l'industrialisme en France, avec deux courants : Charles Comte et Charles Dunoyer, fondateurs en 1814 du journal libéral Le Censeur, et Claude-Henri de Rouvroy de Saint-Simon[23], dont l'idéologie a engendré après sa mort en 1825 le courant du saint-simonisme[24]. Jean-Baptiste Say est régulièrement présenté, à tort, comme le fondateur d'ESCP Business School. Son portrait fut d'ailleurs utilisé pour figurer sur le logo célébrant le bicentenaire de cette école, en 2019-2020[11],[12]. Le lycée Jean-Baptiste-Say (16e arrondissement de Paris) porte son nom. Œuvres
Édition récente des œuvres complètes de SayLes écrits de Say furent édités à plusieurs reprises, notamment dans la Collection des Principaux Economistes de Guillaumin ou la Collection des grands économistes de Dalloz. Cependant, il y eut à plusieurs reprises des rééditions et il manque une édition avec l'apparat scientifique et l'étude des manuscrits. En juin 2000, le Centre Auguste et Léon Walras décide du lancement de l’édition des œuvres complètes de Say, sous la responsabilité d’André Tiran. Dorénavant c'est le centre de recherche Triangle qui abrite l'équipe des éditeurs. Le projet prévoit dix volumes[30] :
Notes et références
Voir aussiBibliographie
Articles connexesLiens externes
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