En 1965, il peine à terminer sa thèse d'État, pour laquelle il envisage de nombreux développements. Claude Chevalley, à qui il présente ses travaux, le convainc que son premier chapitre constitue une thèse suffisante[4]. Intitulée Structures algébriques dans les catégories, il la soutient en 1966 à l'université de Paris devant un jury présidé par Henri Cartan[2],[12],[13].
De retour en France, Bénabou travaille sur la descente(en), notamment avec Jacques Roubaud. Ensemble, ils démontrent un théorème (connu comme « théorème de Bénabou-Roubaud ») qui ouvre d'importantes perspectives dans le domaine[15],[2],[16],[17].
Liens avec l'OuLiPo
Pendant ces années, Bénabou est proche de l'OuLiPo. Son cousin, l'historien Marcel Bénabou, est membre du groupe littéraire et en deviendra le « secrétaire définitivement provisoire »[4],[18]. Il se lie également d'amitié avec le mathématicien et poèteJacques Roubaud, qui est l'un de ses collègues lors de son passage à Rennes. Les deux hommes partagent leur passion pour la théorie des catégories, et Roubaud citera régulièrement Bénabou dans son œuvre littéraire[4],[3],[19].
En 1969, Bénabou apparaît même brièvement dans La Disparition de Georges Perec, dans un passage vraisemblablement dû à Roubaud pastichant un texte mathématique[20] :
«
Or voici qu’il y a huit mois Kan, travaillant sur un adjoint à lui (...) montra par induction, croit-on, (...) la Proposition : Soit G soit H soit K (H ⊂G, G ⊃K) trois magmas (nous suivons Kurosh) où l’on a (...) ; si H, K n’ont qu’un individu commun H ∩ K = Las ! Kan mourut avant d’avoir fini son job. Donc à la fin, l’on n’a toujours pas la solution (1).
(1) Il paraîtrait, dit-on, qu’Ibn Abbou (son cousin plutôt) aurait la solution, mais s’il la connaît, à coup sûr il la tait ! »
En 1987-88, Bénabou publie une série d'articles dans les Cahiers de poétique comparée, dirigés notamment par Roubaud[4].
Le professeur et « son » séminaire
À partir de 1969, Bénabou organise un séminaire de théorie des catégories, à Jussieu puis à l'Institut Henri-Poincaré. Surnommé « séminaire Bénabou », ce séminaire sera pendant plus de trente ans un lieu d'intenses échanges scientifiques[21],[2],[4].
À cette période, il dirige également plusieurs thèses, notamment celles de Sabah Al Fakir en 1973[27], Brigitte Lesaffre en 1974[26], Jean Celeyrette en 1975[28], Michel Coste et Yves Diers en 1977[12],[26], Marie-Françoise Roy en 1980[12], Jacques Penon en 1985[26] et Dominique Bourn en 1990[29].
En 1992, Bénabou prend sa retraite[30]. Il conserve néanmoins une activité scientifique, et publie encore plusieurs travaux sur les topos et les fibrations, entre autres aux côtés de Thomas Streicher(en)[31],[32],[33],[34],[35]. Il continue également à organiser son séminaire jusqu'en 2001[2], et donne des exposés jusqu'à la fin de sa vie[36].
Mort
Il meurt à Paris le , à l'âge de 89 ans. Ses funérailles ont lieu quelques jours plus tard au cimetière du Père-Lachaise[1],[37], où il est inhumé (division 1, caveau Adam-Braun).
Travaux et influence
Contributions à la théorie des catégories
Jean Bénabou a significativement contribué au développement de la théorie des catégories, qu'il a participé à diffuser en France à la suite de Grothendieck et d'Ehresmann, notamment pendant les trois décennies de « son » séminaire (1969-2001)[2],[26].
Il a étudié plusieurs concepts aujourd'hui centraux dans la théorie, en particulier :
les bicatégories qu'il définit en 1967[14],[38], ouvrant la voie à l'étude des catégories supérieures qui est aujourd'hui le principal axe de développement de la théorie des catégories[2] ;
les distributeurs, qu'il introduit en 1967 sous le nom de « profoncteurs » (toujours utilisé en anglais), généralisant la notion de relation binaire aux catégories[14],[2],[39], et qu'il étudiera extensivement par la suite[40],[41] ;
la théorie de la descente(en) de Grothendieck, dans laquelle il prouve avec Roubaud un résultat majeur reliant la descente à des objets algébriques (monades, algèbres(en)) : combiné au théorème de monadicité de Beck(en), ce théorème (de Bénabou-Roubaud) est le premier outil de la descente monadique, qui permet une caractérisation simple de nombreuses catégories de descente[15],[42],[43] ;
la théorie des catégories fibrées(en), dont il est l'un des principaux artisans et qu'il développe dans une approche personnelle à partir des années 1970[2],[26], proposant par la suite une généralisation en catégories « feuilletées »[44] ;
la logique catégorique(en), notamment dans le cadre de la théorie des topos où il étudie la logique interne des topos élémentaires[45],[2],[26].
L'étendue des travaux de Bénabou est néanmoins difficile à décrire. En effet, son perfectionnisme, sa recherche de l'élégance et de la généralité l'ont souvent poussé à retravailler ses résultats et à en retarder la publication, de sorte que ses travaux publiés sont très rares et parcellaires[4],[26]. À l'inverse, la transmission orale prend une place importante dans la diffusion de ses contributions : Bénabou, décrit comme un orateur remarquable, donne toute sa vie de nombreux exposés et plusieurs cours où il présente ses travaux[2],[26].
Ainsi son approche des catégories fibrées, qui est l'une de ses principales lignes de recherche, n'a longtemps été formalisée que dans les notes prises par Jean-Roger Roisin d'après un cours de Bénabou à Louvain-la-Neuve en 1980[22],[26]. Une version plus avancée de ces travaux est à nouveau diffusée comme notes de cours par Thomas Streicher en 1999 (sous le titre Fibered categories à la Jean Bénabou), puis étendue à partir de 2018[25]. Sa généralisation des catégories fibrées aux « catégories feuilletées », débutée en 1984 et poursuivie jusqu'à la fin de sa vie, n'est quant à elle publiée que via l'enregistrement d'un exposé en 2012, et via un échange de courriers électroniques en 2014 sur une liste de diffusion[26],[44],[49],[50].
À sa mort, Jean Bénabou laisse de nombreux manuscrits mathématiques non publiés. Son fils Roland manifeste le souhait d'en faire don à une bibliothèque universitaire[26].
Conflits d'attribution et héritage
L'absence de publication ou la publication tardive (et parfois en langue française) des travaux de Bénabou, ainsi que son éloignement de l'école nord-américaine dominante en théorie des catégories, ont parfois jeté la confusion sur la paternité de ses résultats. Ainsi en va-t-il de l'invention des catégories monoïdales (également attribuée à Mac Lane[9]), de celle des catégories enrichies (attribuée à tort à Eilenberg et Kelly[26]) ou de ses premiers travaux sur les catégories fibrées (éclipsés par ceux de Paré et Schumacher sur les catégories indexées, adoptant une approche concurrente[26]). Jacques Roubaud rapporte en outre le plagiat, par un mathématicien qu'il ne nomme pas, de travaux exposés par Bénabou à Oberwolfach[4].
Plus généralement, une part importante des travaux de Bénabou reste méconnue faute de publication, notamment ses contributions à l'étude des catégories fibrées et les travaux de ses dernières décennies d'activité[26].
Cette situation est particulièrement mal vécue par Bénabou, qui voit en elle une volonté d'invisibilisation de ses contributions de la part de l'école nord-américaine, et réagit parfois de manière violente et excessive[4],[26]. En 2007, il lance une virulente controverse à la suite de l'attribution erronée du théorème de Bénabou-Roubaud à John Beck(en) par Peter Johnstone, qu'il accuse d'avoir omis plusieurs citations de lui-même et de son doctorant Jean Celeyrette dans Sketches of an Elephant[4],[17],[51],[52].
↑ ab et c« Jean Bénabou », sur The Mathematics Genealogy Project (consulté le )
↑Jean Bénabou, « Structures algébriques dans les catégories », Cahiers de topologie et géométrie différentielle catégoriques, vol. 10, no 1, (lire en ligne [PDF])
↑ a et bJean-Roger Roisin, Les catégories fibrées, d'après un cours de J. Bénabou, Institut de mathématique pure et appliquée, Université catholique de Louvain,
↑Jean Bénabou, « Fibrations petites et localement petites », Comptes-rendus de l'Académie des sciences, vol. 281, , p. 897-900 (lire en ligne)
↑(en) Jean Bénabou, « Fibered categories and the foundations of naive category theory », Journal of Symbolic Logic, vol. 50, no 1, , p. 10–37 (ISSN0022-4812 et 1943-5886, DOI10.2307/2273784, lire en ligne, consulté le )
↑ a et bThomas Streicher, « Fibered Categories a la Jean Benabou », arXiv:1801.02927 [math], (lire en ligne, consulté le )
↑ abcdefghijklmno et p(en) Francis Borceux, « Jean Bénabou (1932-2022) : the man and the mathematician », Cahiers de topologie et géométrie différentielle catégoriques, vol. LXIII, no 3, (lire en ligne [PDF])
↑Sabah Al Fakir, Quelques applications de la théorie des catégories en algèbre homologique et en théorie des modèles (Thèse d'État), Villetaneuse, Université Paris-Nord, (OCLC1308400662)
↑Jean Celeyrette, Catégories internes et fibrations (Thèse de doctorat), Villetaneuse, Université Paris-Nord, (OCLC490098219)
↑Michel Coste, La tour de fibrations des n-groupoïdes et la longue suite exacte de cohomologie (Thèse de doctorat), Villetaneuse, Université Paris 13, (OCLC708502354)
↑(en) Jean Bénabou et Bruno Loiseau, « Orbits and monoids in a topos », Journal of Pure and Applied Algebra, vol. 92, no 1, , p. 29–54 (DOI10.1016/0022-4049(94)90045-0, lire en ligne, consulté le )
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↑(en) Jean Bénabou et Thomas Streicher, Distributors between Fibrations, 2002-2003 (lire en ligne)
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