Les lamelles de Pyrgi sont trois inscriptions sur feuille d'or trouvées en 1964 lors des fouilles d'un temple de l'ancienne Pyrgi (près de la ville actuelle de Santa Marinella en Italie). Deux des lamelles sont rédigées en étrusque, la troisième en phénicien[2].
Description
Les trois lamelles sont de fines feuilles d'or mesurant chacune environ 18,5 cm de haut sur 8,7 cm de large ; deux sont gravées d'une inscription en étrusque (plaques A et B), la troisième d'une inscription en phénicien (plaque C). Leurs marges comportent des trous, permettant de les clouer ensemble : dix trous dans les lamelles en étrusque, douze dans celle en phénicien. Les clous originaux — en bronze munis d'une tête en or — ont été découverts avec elles lors de leur exhumation. Les lamelles datent de la fin du VIe siècle av. J.-C. ou du début du Ve siècle av. J.-C.[3].
Les textes des lamelles sont similaires, mais pas identiques. Ils témoignent de la consécration du temple à la déesse phénicienne Astarté (dans le texte en phénicien) ou à la divinité étrusque Uni (dans le texte en étrusque) par Thefarie Velianas, tyran de la ville de Caere Vetus, lequel effectue un don dont on ne connaît pas avec certitude la nature. Les plaques A et C présentent le plus de similitudes, possédant même quelques phrases identiques, mais si le texte en phénicien fournit la motivation de la consécration (Thefarie Velianas rend hommage à la déesse pour sa position au sommet du gouvernement de la ville), le texte en étrusque donne plus d'importance à la cérémonie. La troisième plaque, la plus courte avec seulement 9 lignes de texte en étrusque, résume brièvement la dédicace.
Si les textes phénicien et étrusque ne sont pas des traductions littérales, au mieux des paraphrases (à la différence de la pierre de Rosette, par exemple), ils restent importants : ils permettent aux chercheurs d'utiliser leur connaissance du phénicien pour interpréter l'étrusque. Les lamelles dénotent également l'influence des Phéniciens ou des Carthaginois en Méditerranée occidentale. Elles offrent en outre un contexte linguistique et historique avec d'autres textes contemporains probablement bilingues, comme un traité entre Romains et Carthaginois, ancien et presque inintelligible, évoqué par Polybe dans ses Histoires et qu'il date des consulats de Lucius Junius Brutus et Lucius Tarquinius Collatinus (505 av. J.-C.)[4].
Les lamelles, en or et portant le nom du dirigeant à l'origine de leur création, sont visiblement importantes pour Thefarie Velianas[5]. Elles datent d'ailleurs d'une époque d'alliance entre Étrusques et Carthaginois contre les Phocéens (la bataille d'Alalia, par exemple, a lieu vers 540-535 av. J.-C.).
Découverte
Pyrgi est le port de Caere, une importante ville étrusque (actuelle Cerveteri). Pyrgi est située près de l'actuelle station balnéraire de Santa Severa(en), sur la commune de Santa Marinella, à environ 60 km au nord-ouest de Rome. Elle possède un sanctuaire, dédié à la divinité étrusque Uni (assimilée à la déesse grecque Ino/Leucothée et à la déesse phénicienne Astarté), constitué de deux temples[5]. Des fouilles systématiques sont entreprises à partir de 1957.
Les lamelles sont découvertes le 8 juillet 1964 lors d'une excavation dirigée par l'archéologue italien Massimo Pallottino, dans une petite zone rectangulaire entre les deux temples, en même temps qu'une quatrième plaque en bronze[6] et plusieurs terracottas[5] ; les lamelles d'or sont trouvées enroulées, un peu à la manière d'un rouleau de parchemin.
L'une des lamelles comporte un texte en phénicien[6] (le dialecte spécifique a été appelé « phénicien méditerranéen » par l'historien Philip C. Schmitz[2]). Comme il n'est pas contesté que le phénicien est une langue sémitique, spécifiquement cananéen (très proche de l'hébreu, proche de l'araméen et de l'ougaritique), sa lecture a été réalisée presque immédiatement. Si le sens global est compris, certains points sont toutefois philologiquement incertains, du fait de complications de la syntaxe et du vocabulaire, et sont une source de débats[2].
Le texte en phénicien comprend une quarantaine de mots, répartis sur 11 lignes (le phénicien s'écrit de droite à gauche ; les points servent ici de séparateurs entre les mots) :
« À la déesse Astarté ceci est le lieu saint qu'a fait et qu'a offert Thefarie Velianas qui règne sur Chisra. Pendant le mois du sacrifice au soleil, en offrande dans le sanctuaire, il a construit un édicule. Car Astarté l'a élevé avec sa main pour régner trois ans à partir du mois de Kirari, depuis le jour de l'enterrement de la divinité. Et que les années de la statue de la divinité dans le temple [soient] autant d'années que les étoiles[7],[8]. »
Le tableau suivant reprend l'inscription de la lamelle, ligne par ligne, en en donnant une transcription et une traduction littérale, mot par mot.
Phénicien
Transcription
Sens littéral
𐤋𐤓𐤁𐤕𐤟𐤋𐤏𐤔𐤕𐤓𐤕𐤟𐤀𐤔𐤓𐤟𐤒𐤃𐤔
l-rbt l-ʿštrt ʼšr qdš
pour-dame pour-Astarté lieu saint
𐤀𐤆𐤟𐤀𐤔𐤟𐤐𐤏𐤋𐤟𐤅𐤀𐤔𐤟𐤉𐤕𐤍𐤟
ʼz ʼš pʿl w-ʼš ytn
ceci qui faire et-qui donner
𐤕𐤁𐤓𐤉𐤀𐤟𐤅𐤋𐤍𐤔𐤟𐤌𐤋𐤊𐤟𐤏𐤋𐤟
tbryʼ wlnš mlk ʿl
Thefarie Velianas roi sur
𐤊𐤉𐤔𐤓𐤉𐤀𐤟𐤁𐤉𐤓𐤇𐤟𐤆𐤁𐤇𐤟
kyšryʼ b-yrḥ zbḥ
Chisra dans-mois sacrifice
𐤔𐤌𐤔𐤟𐤁𐤌𐤕𐤍𐤀𐤟𐤁𐤁𐤕𐤟𐤅𐤁𐤍𐤟
šmš b-mtnʼ b-bt wbn
soleil dans-don dans-temple
𐤕𐤅𐤟𐤊𐤏𐤔𐤕𐤓𐤕𐤟𐤀𐤓𐤔𐤟𐤁𐤃𐤉𐤟
tw k-ʿštrt ʼrš b-dy
édicule depuis-Astarté élever dans-main
𐤋𐤌𐤋𐤊𐤉𐤟𐤔𐤍𐤕𐤟𐤔𐤋𐤔𐤟𐤛𐤟𐤁𐤉
l-mlky šnt šlš 3 b-y
pour-régner année trois 3 dans-m[ois]
𐤓𐤇𐤟𐤊𐤓𐤓𐤟𐤁𐤉𐤌𐤟𐤒𐤁𐤓𐤟
rḥ krr b-ym qbr
[m]ois Kirari dans-jour enterrement
𐤀𐤋𐤌𐤟𐤅𐤔𐤍𐤕𐤟𐤋𐤌𐤀𐤔𐤟𐤀𐤋𐤌𐤟
ʼlm w-šnt lmʼš ʼlm
divinité et-année statue divinité
𐤁𐤁𐤕𐤉𐤟𐤔𐤍𐤕𐤟𐤊𐤌𐤟𐤄𐤟𐤊𐤊𐤁𐤟𐤌
b-bty šnt km hkkbm
dans-temple année comme étoiles
𐤀𐤋
ʼl
sur
Texte étrusque
Les deux autres lamelles sont gravées d'un texte en étrusque[6]. La première comporte une quarantaine de mots répartis sur seize lignes, soit toute sa hauteur. La seconde ne possède que neuf lignes gravées, seulement sur sa moitié supérieure. Il ne s'agit pas d'une traduction exacte du texte phénicien, tout au plus d’une paraphrase.
La première tablette contient le texte suivant (écrit de droite à gauche, comme le phénicien) :
« Ce temple et ces statues ont été dédiés à Uni-Astarté, construit par la communauté. Tiberius Velianas a donné l'édicule. Cette sépulture a été encerclée par ces prêtres avec des idoles. Pour trois années [du mois de] Churvar, avec Ses offrandes, avec des idoles [il fut] enterré. Pendant le règne du chef, dans Sa main [il] aura été amené (c'est-à-dire : « Uni-Astarté lui a donné autorité pour régner »). Et avec ces idoles, que les années perdurent comme les étoiles. »
« Quand Tiberius Velianas a construit la statue du sanctuaire [pendant] le mois de Masan, Uni a été satisfaite. Les dons de ce temple par an ont été aussi nombreux que les étoiles. »
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
Lucie Streiff-Rivail (coordination et suivi éditorial), Charles-Hilaire Valentin (iconographie), Maria-Laura Falsini (recherche et acquisition de la documentation photographique et coordination), Massimiliano Piemonte (recherche et acquisition de la documentation photographique et coordination), Simonetta Massimi (recherche et acquisition de la documentation historique graphique), Nicolas Neumann (directeur éditorial), Sarah Houssin-Dreyfuss (coordination et suivi éditorial), Astrid Bargeton (coordination et suivi éditorial (assistante)), François Dinguirard (conception graphique), Marion Lacroix (contribution éditoriale), Colette Malandain (contribution éditoriale) et al. (trad. Renaud Temperini, Geneviève Lambert & Élisabeth Agius d'Yvoire, préf. Xavier Dectot & Mario de Simoni), Les Étrusques et la Méditerranée : La cité de Cerveteri, Lens & Paris, Musée du Louvre-Lens & Somogy éditions d'art, , 362 p., 23 cm × 29 cm (ISBN978-2-36838-015-4 et 978-2-7572-0762-8), p. 208.
James Février, « L'Inscription punique de Pyrgi », Comptes rendus des séances de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, vol. 109, no 1, , p. 9-18 (lire en ligne)
Jacques Heurgon, « Les inscriptions de Pyrgi et l'alliance étrusco-punique autour de 500 av. J.-C. », Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, vol. 109e année, , p. 89-104 (DOI10.3406/crai.1965.11813, lire en ligne, consulté le )
(de) Ambros Josef Pfiffig(de), Uni - Hera - Astarte. Studien zu den Goldblechen von S. Severa / Pyrgi mit etruskischer und punischer Inschrift (« Denkschriften der Österreichische Akademie der Wissenschaften, philosophisch-historische Klasse », Band 88/2), Wien, Österreichische Akademie der Wissenschaften, 1965.
↑ a et bFrançoise Gaultier et Laurent Haumesser, Les Étrusques et la Méditerranée, Somogy/Louvre-Lens, , p. 208
↑ ab et c(en) Philip C. Schmitz, « The Phoenician Text from the Etruscan Sanctuary at Pyrgi », Journal of the American Oriental Society, vol. 115, no 4, , p. 559-575
↑Collectif, Les Étrusques et l'Europe, Réunion des musées nationaux, , p. 122
↑(en) Harald Haarmann, Early Civilization and Literacy in Europe : An Inquiry into Cultural Continuity in the Mediterranean World, Walter de Gruyter, , p. 355