Manifestations de 2016-2017 au Cameroun anglophoneManifestations de 2016-2017 au Cameroun anglophone
Manifestation à Bamenda en 2017.
Les manifestations de 2016-2017 au Cameroun anglophone (qu'on appelle également révolution du cercueil au Cameroun), sont des manifestations qui se déroulent du au dans les deux régions anglophones du Cameroun, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. ContextePériode colonialeColonisé par l'Allemagne, le Cameroun est ensuite divisé par la Grande-Bretagne et la France après la défaite des Allemands lors de la Première Guerre mondiale en 1916[1]. Décolonisation, passage d'un État fédéral à un État unitaire et malaise de la minorité anglophoneLes deux parties du Cameroun sont administrées séparément jusqu'en 1961, date à laquelle le territoire britannique, connu sous le nom de Cameroun méridional, accède à l'indépendance et rejoint l'ancien Cameroun français déjà indépendant. Le système de gouvernement fédéraliste qu'ils adoptent ne dure qu'une décennie. Le pays abandonne ce système lors du référendum constitutionnel de 1972 et met en place un système centralisé qui permet au pouvoir de rester fermement ancré dans la capitale, Yaoundé. Les anglophones affirment avoir souffert d'une marginalisation accrue à la suite de ce référendum[1]. DérouléOctobre 2016Le 11 octobre, les avocats des régions anglophones se sont mis en grève pour dénoncer l'inexistence, au Cameroun, d'une version anglaise des « actes uniformes » de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA), et pour refuser l'application du Code civil francophone dans les juridictions des régions anglophones[2]. Novembre 2016Le , des avocats anglophones se rassemblent devant la Cour d'appel de Bamenda pour annoncer la création d'un nouveau barreau spécifique à la communauté anglophone. À la suite d'une intervention des forces de l'ordre, les avocats décident de défiler dans les rues de la ville. Alors qu'ils tentaient de se rassembler au centre-ville, les forces de l'ordre font usage de gaz lacrymogènes pour les disperser[3]. Le , deux syndicats des enseignants anglophones, la Cameroon Teachers Trade Union (CATTU) et la Teachers Association of Cameroon (TAC), appellent à la grève et à la fermeture des écoles à Bamenda, pour dénoncer la « francophonisation du système éducatif anglo-saxon du Cameroun » et, en particulier, le déploiement d'enseignants francophones dans les écoles anglophones. Par ailleurs, des manifestants réclament la révocation du délégué du gouvernement et son remplacement par un maire central élu. Les manifestants protestent également contre le chômage et le manque d'investissement du gouvernement central de Yaoundé dans les régions anglophones[4]. Après plusieurs heures de manifestation, un important contingent de forces de l'ordre est déployé pour rétablir le calme. Entre-temps, des slogans antigouvernementaux sont scandés par les jeunes manifestants, qui brûlent des pneus sur la voie publique[4]. Les et , de violents heurts font trois morts à Bamenda[5]. Décembre 2016Début décembre, au moins quatre personnes sont tuées lorsque les forces de sécurité tirent à balles réelles en l'air et lancent des gaz lacrymogènes sur un marché[6]. En décembre, des journalistes regroupés au sein d'un « consortium des associations de journalisme du sud-ouest » dénoncent « l’anéantissement » de leur langue au profit du français[7]. Le 8 décembre, à Bamenda, des manifestants dressent des barricades et brûlent des pneus sur les routes menant à l'hôtel où se trouve la délégation du parti au pouvoir[8]. Des affrontements entre jeunes et forces de l'ordre font deux morts dans la ville[9]. Quatre personnes sont abattues par la police lors d'une manifestation dans la région du Nord-Ouest[10]. Janvier 2017Le 9 janvier, le Consortium de la société civile anglophone du Cameroun (CSCAC) lance une « journée ville morte ». L'action est suivie dans les régions anglophones[11]. Le 16 janvier, plusieurs villes de ces régions suivent une action similaire lancée par le CSCAC[12]. Février 2017Le 10 février, une centaine de personnes manifestent devant un commissariat de police pour demander la libération de personnes arrêtées. La police ouvre le feu sur la foule, tuant deux manifestants et en blessant dix autres à Ndop[13]. Dans la nuit du 22 au 23 février, des affrontements éclatent entre des jeunes et la police à Mutengene à la suite de la mort d'un jeune homme de la ville, abattu par une patrouille du poste de police de la sécurité publique[14]. Septembre 2017Le 22 septembre, des milliers de personnes manifestent dans les régions anglophones pour réclamer, entre autres, la « libération des prisonniers anglophones » et l'« indépendance de la partie anglophone ». Selon des témoins contactés par Le Monde Afrique à Buéa, Bamenda et Kumbo, des policiers, des gendarmes et des camions anti-émeutes étaient stationnés dans toutes les villes. Certains policiers tirent à balles réelles sur les manifestants à plusieurs endroits. A Mamfé et Santa, trois personnes sont tuées et de nombreuses autres sont blessées[15]. Octobre 2017Le 1er octobre, le leader séparatiste Sisiku Julius Ayuk Tabe, déclare symboliquement l'indépendance des régions anglophones sous le nom d'Ambazonie. À la suite de cette proclamation symbolique, les séparatistes tentent de manifester dans les deux régions. D'importantes forces de sécurité sont déployées. Ces dernières tirent à balles réelles sur les manifestants dans plusieurs villes, notamment Bamenda, Ndop, Kumbo et Kumba, et procèdent à des interpellations. Selon Amnesty International, dix-sept personnes sont tuées par les forces de sécurité au cours des manifestations[16]. Le 2 octobre, quelques tentatives de rassemblement sont dispersées par des gaz lacrymogènes et des tirs à Bamenda. Plusieurs personnes sont hospitalisées à la suite d'échauffourées entre les manifestants et la police[17]. RevendicationsLes anglophones, qui représentent environ 20% du Cameroun, dénoncent la remise en cause progressive du bilinguisme, pourtant garanti par la Constitution. Pour beaucoup d'entre eux, l'hégémonie du français tend à accélérer leur « marginalisation » au sein de la société. Les avocats sont les premiers à s'insurger, réclamant l'application de la common law, le système juridique anglo-saxon basé sur la jurisprudence, et non plus seulement le droit romain ou les codes écrits napoléoniens. Ils exigent également que les lois votées par l'Assemblée nationale soient traduites en anglais. Il en va de même pour les règlements de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC). Les enseignants anglophones se sont également mis en grève pour protester contre l'utilisation croissante du français dans les classes. Ils demandent que seuls les enseignants francophones parfaitement bilingues soient autorisés à enseigner dans les régions anglophones, afin de préserver la spécificité linguistique de ces régions. Si les enseignants et les avocats sont en première ligne, c'est la minorité anglophone dans son ensemble qui déplore sa marginalisation administrative, politique et économique[8]. RépressionLe , plusieurs leaders anglophones à l'origine des manifestations sont arrêtés et inculpés d'« actes de terrorisme »[18]. Paul Biya abandonne les poursuites en août[19]. Entre janvier et mars, Internet est coupé dans les régions anglophones[20]. Réactions nationalesPrésident de la RépubliqueLe , lors de son discours de fin d'année, le président Paul Biya qualifie les grévistes de « groupe de manifestants extrémistes, manipulés et instrumentalisés »[21]. Le , le président condamne « de façon énergique tous les actes de violence, d'où qu'ils viennent, quels qu'en soient les auteurs », appelant au « dialogue »[22]. Réactions internationales
Voir aussiArticles connexes
Notes et références
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