Mireille Havet est la fille du peintre Henri Havet (1862-1913) et de son épouse Léoncine Cornillier (1860-1923), sœur de Pierre-Émile Cornillier. Elle est également la petite-fille du linguiste Alfred Havet (1827-1896). La sœur de Mireille, Christiane, qui avait pour parrain le peintre Adolphe Gumery[1], épousera le poète et critique littéraire Paul Aeschimann.
Dans sa jeunesse, elle vit à Auteuil et passe ses vacances au château de Ker Aulen, à Frossay[2], chez son grand-oncle Benjamin-Joseph Leroux et son épouse Marie-Adeline Goüin. Elle grandit dans une atmosphère intellectuelle et artistique tranquille, « faite d’aimable dilletantisme, de mondanités modestes, de pauvreté plus ou moins insouciante, adossée cependant au solide rempart de bonnes origines bourgeoises[2] ». Elle rencontre ainsi, entre autres, Paul Demény, Georges Izambard, et la femme de lettres Georges de Peyrebrune.
Après que sa famille a déménagé à Paris, en 1907, elle fréquente occasionnellement la chartreuse de Neuville-sous-Montreuil, un foyer social et résidence d'artistes et d'intellectuels[3]. Son père, neurasthénique, meurt en 1913 après s'être fait interner dans une maison de santé, si bien qu'elle connaît une grande liberté dans son éducation, comme elle l'explique dans son Journal en 1919 : « Je fus très jeune libre d’agir et de choisir selon mes goûts et surtout les hasards autoritaires des rencontres et des livres. Cette liberté me fut pour ainsi dire concédée avec le terrible rôle de prodige[4]. » Elle rédige très tôt des poèmes, des textes en prose, et un journal intime, qu'elle commence en à l'occasion d'une opération de l'appendicite[5] et qu'elle tient jusqu'à 1929. Tandis qu'elle est renvoyée du collège Sévigné (soit qu'on lui reproche ses ambitions littéraires, soit qu'on lui reproche ses tendances homosexuelles), surviennent ses premiers échanges avec Apollinaire, qui jouera le rôle de mentor à partir d'avril 1913[2].
Carrière d'autrice
Guillaume Apollinaire, qui l'appelait « la petite poyétesse[6] », publie son conte fantastique La Maison dans l'œil du chat dans Les Soirées de Paris en 1913. Ce texte ainsi que d'autres poèmes en prose, écrits à 14 ans[7], sont publiés en 1917 par les éditions Crès. Dès lors, elle rencontre le tout-Paris littéraire, de Colette à Jean Cocteau, en passant par André Gide et les premiers surréalistes[8].
Pendant la Grande guerre, Mireille Havet se réfugie au Colombier avec sa famille. Mais elle revient rapidement à Paris où elle mènera une vie dissolue, marquée par la pauvreté, la drogue (opium, puis cocaïne et morphine à la fin de sa vie[9]), et de nombreuses conquêtes homosexuelles.
En 1917, elle rencontre, par l’intermédiaire de Colette, Hélène et Philippe Berthelot, l’américaine Natalie Clifford Barney, icône du Paris lesbien de l’époque, dont elle fréquente le salon[10]. Elle se lie à de grandes figures comme la comtesse de Limur[11] et découvre l’œuvre de l’homosexuelle Renée Vivien. La fréquentation de ces femmes jouera un grand rôle dans la reconnaissance personnelle de son homosexualité[10]. Elle était ouvertement homosexuelle, tant dans son journal qu'à la ville[2].
Elle interprète le rôle de la Mort dans la pièce de Jean CocteauOrphée en 1926[15]. Elle est très remarquée dans ce rôle[16] mais, dévorée par la drogue, elle ne pourra pas le reprendre en 1927.
Elle meurt à l'âge de 33 ans de délabrement physique dû notamment à la tuberculose et à la toxicomanie[17], abandonnée de ses amis, offrant pour quelques pièces son corps décharné aux passants. Elle lègue ses cahiers et manuscrits à son amie Ludmila Savitzky[5].
Mireille Havet est « redécouverte » grâce à l'édition de journal, dont le manuscrit n'a été retrouvé qu'en 1995[6] par Dominique Tiry, petite-fille de Ludmila Stavitzky[18]. Donné à la bibliothèque interuniversitaire de Montpellier, ce manuscrit est conservé à l'université Paul-Valéry-Montpellier-III[19]. Il est publié par les éditions Claire Paulhan de 2003 à 2012.
La critique a rapproché Mireille Havet de Catherine Pozzi : « Dans leurs journaux, les auteures tentent de construire, plus que des images de soi, une relation à soi »[20].
Carnaval, édition établie, présentée et annotée par Claire Paulhan, aux éditions Claire Paulhan, coll. « Pour mémoire », 2005, 239 p. (ISBN2-912222-22-2)[23]
Journal aux éditions Claire Paulhan, 2003-2010, édition établie par Pierre Plateau :
Journal 1918-1919 : « Le monde entier vous tire par le milieu du ventre », présentée et annotée par Dominique Tiry, coll. « Tiré-à-part », 2003, 254 p. (ISBN2-912222-18-4) ; nouvelle édition augmentée et corrigée en 2011, 300 p.[24]
Journal 1919-1924 : « Aller droit à l'enfer, par le chemin même qui le fait oublier », annotée par Dominique Tiry, Pierre Plateau et Claire Paulhan, préf. Béatrice Leca, coll. « Pour mémoire », 2005, 533 p. (ISBN2-912222-21-4)[25]
Journal 1924-1927 : « C'était l'enfer et ses flammes et ses entailles », annotée par Dominique Tiry, avec la collab. de Roland Aeschimann, Claire Paulhan et Pierre Plateau, préf. Laure Murat, coll. « Pour mémoire », 2008, 445 p. (ISBN978-2-912222-28-2)[26]
Journal 1927-1928 : « Héroïne, cocaïne ! La nuit s'avance », annotée par Claire Paulhan, avec l'aide de Pierre Plateau et Dominique Tiry, préf. Patrick Kéchichian, coll. « Pour mémoire », 2010, 350 p. (ISBN978-2-912222-33-6)[27]
Journal 1929 : « Peut-être suis-je morte ? Suicidée il y a quelques mois », annotée par Roland Æschimann, Claire Paulhan, Pierre Plateau & Dominique Tiry, présentée par Roland Æschimann, coll. « Pour mémoire », 2012, 320 p. (ISBN978-2-912222-39-8)[28]
↑Mireille Havet, Journal 1918-1919, éd. Pierre Plateau, Dominique Tiry et Claire Paulhan, Paris, Claire Paulhan, , p. 8
↑ a et bMarthe Compain, Le journal intime de Mireille Havet : entre écriture de soi et grand œuvre (thèse de doctorat en littératures), Université Toulouse le Mirail - Toulouse II, , 358 p. (lire en ligne), p. 13
↑ a et bEmmanuelle Rétaillaud-Bajac, « Du « clan divin des femmes amoureuses » à la « race maudite » : élaboration, représentations et discontinuités de l’identité lesbienne dans la trajectoire de Mireille Havet (1898-1932) », Genre, sexualité et société, no 1, (ISSN2104-3736, DOI10.4000/gss.893, lire en ligne, consulté le )
↑ a et b« Une femme invertie en vaut deux », Libération.fr, (lire en ligne, consulté le )
↑Melanie C. Hawthorne, « Exclues de l'exception : Mireille Havet et Laure Charpentier », dans Marc Dambre (dir.) et Richard J. Golsan (dir.), L'Exception et la France contemporaine : Histoire, imaginaire, littérature, textes issus du Colloque international des études françaises et francophones des XXe et XXIe siècles en 2007 à College Station (Texas), Presses de la Sorbonne nouvelle, 2010, 287 p. (ISBN978-2-87854-467-1), p. 109–116.
↑Patrick Bergeron, « Le livre de Daniel, ou chronique d’un échec amoureux : Carnaval de Mireille Havet », dans Fictions modernistes du masculin-féminin : 1900-1940, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », (ISBN978-2-7535-5735-2, lire en ligne), p. 281–292
↑Alain Vildart, « Un amour d'Apollinaire », La nouvelle République, (lire en ligne)
↑Françoise Simonet-Tenant, « Catherine Pozzi et Mireille Havet, prosatrices de l’intime dans la France de l’entre-deux-guerres », Études françaises, vol. 59, no 3, , p. 53-67 (lire en ligne)