Leurs conclusions ont suscité une forte opposition dans les milieux académiques israéliens traditionnels et de nombreux débats et controverses[4],[5]. Des désaccords sont également apparus entre eux à partir de 2004[6].
D'abord rejetés par le public, les « nouveaux historiens » ont acquis une légitimité en Israël dans les années 1990[8], et certaines de leurs conclusions ont été intégrées au postsionisme[9]. Bien qu'influents dans les universités occidentales, le récit de la « nouvelle histoire » et le postsionisme sont restés marginalisés en Israël[10].
Principales différences avec l'histoire officielle israélienne
Pour Avi Shlaïm, en ce qui concerne la Guerre israélo-arabe de 1948, les débats portent sur le rapport de forces entre les protagonistes de la guerre, citant l'analyse des mythes. Celui de « David contre Goliath », le rôle des autorités britanniques, les relations israélo-jordaniennes, les causes de l'exode palestinien dont la « fuite des Palestiniens à l'appel de leurs dirigeants », les motivations arabes à intervenir dans la guerre ainsi que celui de l'intransigeance arabe et de la volonté « de jeter les Juifs à la mer »[11].
D'autres historiens israéliens, parmi lesquels Avraham Sela(en), Yoav Gelber, Anita Shapira, Shabtaï Teveth(en), Itamar Rabinovitch et Efraïm Karsh, critiquent leur dénigrement des travaux de leurs prédécesseurs, voire les accusent de « falsification » et de « programme politique caché »[12]. En raison des enjeux, les débats sur ces travaux sont à ce point controversés qu'Avi Shlaïm parle d'une « guerre des historiens israéliens »[13].
À l'étranger, des historiens palestiniens, dont Ibrahim Abu-Lughod, Nur Masalha et Walid Khalidi) estiment que leurs travaux ne vont pas assez loin par rapport à leurs conclusions[note 1]. Ceux-ci sont accusés de minimiser la responsabilité israélienne dans la guerre[14],[15],[16].
Pour le sociologue israélien postsionisteUri Ram(he): « le futur [de l'écriture] du passé en Israël [est devenu une question] politique. Un éventuel retour au processus de paix et un règlement du conflit israélo-palestinien […] [permettrait] un discours historique plus ouvert, pluraliste et critique. [Le contraire donnera lieu] à un discours fermé, consensuel et nationaliste[17] ».
Avi Shlaim présente les différences avec ce qu'il appelle l'histoire officielle comme étant les suivantes[18] :
Principales différences avec l’histoire officielle israélienne selon Avi Shlaim
Version officielle
Nouveaux historiens
Rôle du Royaume-Uni
Le Royaume-Uni a essayé d'empêcher l’établissement de l’État israélien en soutenant la Transjordanie qui a attaqué Israël.
Le Royaume-Uni a surtout empêché l’établissement d'un État palestinien et soutenu son annexion par la Transjordanie à condition que celle-ci n'attaque pas Israël.
Exode palestinien
Les Palestiniens ont fui à la suite de l'appel de leurs dirigeants.
Les Palestiniens ont été chassés et expulsés de leur ville et village. Un point fait polémique : l'exode des Palestiniens a-t-il été intentionnel et prémédité ou est-ce une conséquence de la guerre ?
Forces en présence
L’équilibre des forces était en faveur des Arabes, soutenus par les Britanniques.
Grâce à une politique de recrutement et d'armement efficace, les Israéliens avaient l'avantage en termes numériques tout au long de la guerre et en termes d'armement et de matériel après le . En particulier, ils n'ont pas souffert de l'embargo occidental, à la différence des armées arabes.
Voisins arabes
Les pays arabes avaient établi un plan coordonné visant à la destruction d'Israël.
Les Arabes étaient divisés et se méfiaient les uns des autres. En particulier le roi Abdallah Ier de Jordanie avait conclu avec les Israéliens un accord tacite de non agression qui ne fut cependant pas respecté par Jérusalem (corpus separatum).
Processus de paix
L’intransigeance des Arabes a empêché la paix.
La responsabilité de l'échec des négociations qui ont suivi la guerre est partagée.
Par ailleurs, Ilan Pappé suggère que le but des dirigeants sionistes était de déplacer la plupart des Arabes palestiniens, tandis que pour Benny Morris le déplacement de population s'est déroulé dans le feu de la guerre.
Critiques
Pour Paul Giniewski, les nouveaux historiens croient « travailler à l'avènement du Nouveau Moyen-Orient » et leur réécriture de l'histoire du sionisme et du conflit israélo-arabe, sert de terreau d'attitudes politiques parfois pseudo-historiques mais surtout idéologiques. Il qualifie le mouvement d'auto-dénigrement qui nie certaines réalités du mouvement sioniste, tout en les qualifient à son tour de mythes[19].
Pour Derek Penslar(en), les nouveaux historiens dans leur mission, exagèrent leurs arguments au-delà des évidences historiques. Il met en parallèle le révisionnisme israélien à celui américain des années 1960 au cours de la guerre froide, et rapporte un commun radicalisme politique, un objectivisme et de l'hostilité au relativisme. Il décrit leur méthodologie comme de l'historiographie diplomatique et de la « haute politique ». Il note de nombreuses erreurs dans les travaux de certains d'entre eux et une tendance à utiliser un langage moralisateur et péjoratif pour décrire le comportement d'Israël[20].
Leurs thèses sont rejetées au sein du milieu académique israélien. Leur révisionnisme est accusé d'être peu différent de l'approche et des intentions des thèses antisionistes, et ils sont décrits comme des gauchistes hostiles à l'existence d'Israël comme État juif. Aharon Megged décrit les nouveaux historiens comme la manifestation de l'« impulsion suicidaire d'Israël »[20].
Raphael Israeli, soutient que les nouveaux historiens tendent à ignorer dans leurs travaux, l'hostilité et la haine du monde arabo-musulman contre Israël et les Juifs, et agissent avec une culpabilité injustifiée qui serait en réaction à celle-ci, tout en précisant que ce n'est pas le cas de Benny Morris. Il affirme que l'influence qu'ils ont acquise est liée à l'effort de délégitimation d'Israël par les Palestiniens et leurs soutiens, et ainsi se retrouvent liés aux campagnes de boycott d'Israël, à la guerre juridique et à la guerre asymétrique qui sont menées contre leur pays. Il soutient que les historiens arabes vivant sous des régimes et dans des sociétés oppressives ne peuvent remettre en cause les conventions politiques qui dicte la narration historique arabe. Il dénonce ainsi le soutien des historiens arabes aux thèses des nouveaux historiens, comme le reflet de la propagande et de la campagne politique contre Israël[21].
Les thèses et les études avancées par les nouveaux historiens sont sujettes à de nombreuses réfutations par d'autres spécialistes israéliens des sujets[22].
Shabtaï Teveth(en) écrit de nombreuses réfutations et accuse Benny Morris de falsification. Du côté des défenseurs du narratif palestinien, Ibrahim Abou Loughod critique Morris, pour ne pas établir des liens entre l'expulsion des Arabes et le sionisme[22].
Itamar Rabinovitch critique leur point de départ politico-moral plutôt qu'universitaire[22].
Ils sont aussi critiqués par Efraïm Karsh, qui notamment les accusent d'avoir des mauvaises intentions politiques en voulant prouver la thèse palestinienne qu'« Israël serait le méchant »[22].
Bibliographie
Travaux des « nouveaux historiens » relatifs à la naissance d'Israël
(en) Avi Shlaïm, Collusion across the Jordan : King Abdullah, the Zionist Movement and the partition of Palestine, 1988 ; réédité en 1990 sous le titre The politics of partition.
(en) Idith Zertal, From catastrophe to power : Holocaust survivors and the emergence of Israel, Berkeley, University of California Press, 1998 (ISBN0-520-21578-8) [trad. par J. Carnaud & J. Lahana : Des rescapés pour un État : la politique sioniste d'immigration clandestine en Palestine, 1945-1948, Paris, Calmann-Lévy, 2000 (ISBN2-7021-3070-4)].
(en) Ilan Pappé, History of modern Palestine : one land, two peoples, Cambridge, Cambridge University Press, 2004 (ISBN0-521-55406-3) [histoire de la Palestine de 1856 à 2001].
Ilan Pappé, Une terre pour deux peuples : histoire de la Palestine moderne, trad. par O. Demange, Paris, Fayard, 2004 (ISBN2-213-61868-2) [trad. de l'ouvrage précédent].
(en) Idith Zertal, Israel's holocaust and the politics of nationhood, traduit par Ch. Galai, Cambridge, Cambridge University Press, 2005 (ISBN0-521-85096-7) [trad. par M. Saint-Upéry : La nation et la mort : la Shoah dans le discours et la politique d'Israël, Paris, La Découverte, 2004 (ISBN2-7071-4416-9)].
(en) Avraham Sela(en), « Transjordan, Israel and the 1948 war : myth, historiography and reality », Middle Eastern Studies, 1992, 28 (4), p. 623-689.
(en) Avraham Sela, « Benny Morris, David Ben-Gurion, and the ‘Transfer’ idea », Israel Affairs, 1997, 4 (2), p. 47-71.
(en) «[Quoi ?] Avraham Sela, « The collusion that never was : King Abdallah, the Jewish Agency and the partition of Palestine », Journal of Contemporary History(en), 1999, 34 (4), p. 569-585.
(en) « Avraham Sela, « The unbearable lightness of my critics », The Middle East Quarterly, 2002, 9 (3), p. 63-73.
(en) « Avraham Sela, « Benny Morris's reign of error : revisited the Post-Zionist critique », The Middle East Quarterly, 2005, 12 (2), p. 31-42.
(en) « Avraham Sela, « Resurrecting the myth : Benny Morris, the Zionist movement, and the ‘transfer’ idea », Israel Affairs, 2005 11 (3), p. 469-490.
(en) « Avraham Sela, « Zionism and the Palestinians », Israel Affairs, 2008, 14 (3), p. 355-373.
Tuvia Friling(en) (dir.), Critique du post-sionisme : réponse aux « Nouveaux Historiens » israéliens, trad. de l'hébreu par F. Bergmann, Paris, In Press, 2004 (ISBN2-84835-035-0).
(en) Jonathan B. Isacoff, Writing the Arab-Israeli conflict : pragmatism and historical inquiry, Lanham, Md. & Oxford, Lexington Books, 2006 (ISBN978-0-7391-1272-4).
Sébastien Boussois, Israël confronté à son passé : essai sur l’influence de la « Nouvelle Histoire », Paris, L’Harmattan, 2007 (ISBN978-2-296-04614-6).
(en) Yoav Gelber, Nation and history : Israeli historiography and identity between Zionism and post-Zionism, Londres & Portland (Or.), Vallentine Mitchell(en), 2011 (ISBN978-0-85303-883-2).
(en) Efraïm Karsh, Palestine betrayed, New Haven (Conn.), Yale University Press, 2010 (ISBN978-0-300-12727-0).
Notes et références
Références
↑Sébastien Boussois, Israël confronté à son passé. Essai sur l'influence de la « nouvelle histoire », 2007, L'Harmattan, p. 12.
↑Shlomo Sand, « Post-sionisme : un bilan provisoire. À propos des historiens « agréés » et « non agréés » en Israël », Annales. Histoire, Sciences Sociales 2004/1, 59e année, p. 143-160.
↑(en) Nur Masalha, « New History, Post-Zionism and Neo-Colonialism: A Critique of the Israeli 'New Historians' », Holy Land Studies, vol. 10, no 1, , p. 1–53 (ISSN1474-9475, DOI10.3366/hls.2011.0002, lire en ligne)
↑Avi Shlaïm, Le débat sur 1948, traduction de The Debate about 1948, International Journal of Middle East Studies, vol. 27, no 3, , p. 287–304.
↑Avi Shlaim, The war of the Israeli historians, Oxford University - Annales, janvier–février 2004 (présentation en ligne), p. 161-167.
↑Paul Giniewski, Antisionisme, le nouvel antisémitisme, , p. 232-236.
↑ a et b(en) Derek Penslar, Israel in History : The Jewish State in Comparative Perspective, Routledge, .
↑(en) Raphael Israeli, Old Historians, New Historians, No Historians: The Derailed Debate on the Genesis of Israel, Wipf and Stock Publishers(en), .
↑ abc et dDominique Vidal et Joseph Algazy, Le péché originel d'Israël : l'expulsion des Palestiniens revisitée par les "nouveaux historiens" israéliens, .
Notes
↑À l'exception d'Ilan Pappé, qui est devenu une référence dans les milieux académiques palestiniens et parmi les pro-palestiniens.