En Suisse, la peine de mort est interdite au civil par la Constitution fédérale depuis 1942. Dans le code pénal militaire, elle est interdite depuis 1992.
Histoire et abolition
Avant 1848
Les cantons étaient autonomes concernant le droit pénal, ils auraient tous eu recours à la peine de mort. Les jugements étaient rendus selon l’usage car le droit était rarement écrit. Cependant en Suisse orientale, on a appliqué le code de procédure de l'empereur Charles Quint, la Lex Carolina de 1532. Les clauses de cette loi prévoyaient la mort non seulement en cas d'homicide, mais aussi pour les vols ou les actes homosexuels. Une aggravation de la peine était prévue dans certains cas, la fornication contre nature pouvait mener au bûcher, l'infanticide à l'enterrement vivant ou la noyade. Les exécutions étaient publiques (10 000 personnes à Genève en 1862[2]). Le nombre d'exécutions capitales a diminué avec le temps, dans le canton de Zurich leur nombre passe de 327 au XVIIe siècle, à 145 exécutions au XVIIIe siècle[3].
Durant l’occupation française, dès avril 1799, la souveraineté cantonale en matière pénale est supprimée, les cantons devenant de simples entités administratives. Le nouveau code pénal suisse s'applique à toute la Suisse, et impose la décapitation comme unique mode d’exécution, considéré comme moins cruel (le code pénal français a introduit cette règle en 1791). La peine de mort a été étendue en janvier 1802 au vol, ce qui n’empêcha pas la criminalité d’augmenter. Les cantons reviennent à leurs anciennes traditions après 1803, nombre d’entre eux réintroduisent la Lex Carolina sous une forme atténuée. La plupart adoptent le droit pénal écrit seulement au début du XIXe siècle[3].
À Genève, chef-lieu du département du Léman, une guillotine est construite en 1799 par le maître charpentier Jean-Nicolas Boiteux, il est aidé d’un serrurier, un forgeron et un sellier. De 1799 à 1813, 33 personnes dont une femme sont décapitées à la place de Neuve, au bas de la rampe de la Treille. Après le départ des Français, la guillotine reste en activité, six exécutions ont lieu jusqu’en 1862. Puis la loi est modifiée en 1871. La guillotine de Genève a été réalisée sur le modèle de celle de Chambéry, puis sert elle-même de modèle en 1836 pour construire celle de Zurich (connue plus tard sous le nom de « Guillotine de Lucerne »)[2]. La guillotine genevoise est remise en 1915 au musée d'art et d’histoire[4]. À Zurich, le Grand Conseil avait pourtant refusé en janvier 1836 de remplacer « le glaive » par la guillotine, supprimant cependant la fonction de bourreau (payée 1 400 francs par an), remplacée par un crédit éventuel de 300 francs[5].
De 1848 à 1940
La peine de mort en Suisse est exécutée par décapitation depuis l’occupation française de 1799. La peine de mort pour les crimes de droit commun a été une première fois abolie en 1874, puis réintroduite dans la Constitution à la suite d'un référendum en 1879, la proposition ayant recueilli 52,5 % des voix[6],[7]. L'universitaire Paolo Passaglia relève que « le sujet resta, toutefois, très débattu, et les réserves contre l'application de la peine de mort restèrent très fortes, ce qui est prouvé par le nombre restreint (neuf, au total) des exécutions entre 1879 et 1940 »[7]. Il y a en Suisse 22 condamnations à mort après 1879 dont neuf sont exécutées, car la plupart des condamnés font des recours en grâce[2].
La « Guillotine de Lucerne » a été construite en à Zurich sur la base du modèle genevois. Elle mesure 4 m de haut, peut se plier et est facilement transportable. Elle est utilisée six fois jusqu’en 1865, à Zurich. Le canton de Schaffhouse en fait l'acquisition en 1863, puis le canton de Lucerne l’emprunte en vue de l’exécution de Jakob Mattmann en 1885. Bien que celui-ci soit gracié l’engin reste à Lucerne, qui l'achète en 1904. Elle circule encore sur les lieux des neuf dernières exécutions entre 1892 et 1940, à Fribourg, Lucerne, Altdorf, Zoug et Sarnen. Stockée dans le galetas de la prison centrale de Lucerne, elle est remise au musée historique de Lucerne(de) quand la prison ferme ses portes en 1998[8],[9],[10].
Les lois cantonales ont varié après 1879, la peine de mort a été réintroduite entre 1880 et 1894 dans dix cantons. Quatre exécutions ont encore eu lieu dans le canton de Lucerne, et une dans chacun des cantons de Schwytz, Fribourg, Uri, Zoug et Obwald. Aucune exécution n’a eu lieu dans les quatre autres cantons où la peine de mort était à nouveau possible : Appenzell Rhodes-Intérieures, Saint-Gall, Valais et Schaffhouse.
Une initiative populaire réclamant cette réintroduction dans le canton de Zurich a été acceptée en 1883 par 29 000 contre 25 000 voix. Une modification de la constitution cantonale a été rédigée en conséquence, puis mise au vote, avec une recommandation du Kantonsrat (parlement cantonal) de la rejeter. En 1885, la population a suivi cette recommandation par 28 000 contre 21 000 voix, la constitution zurichoise est restée inchangée et la peine de mort n'a pas été réintroduite[10],[1].
En 1938, le peuple adopte par 53,5 % des voix, un nouveau code pénal qui prévoit, entre autres, l'abolition de la peine de mort pour les crimes de droit commun, et entrera en vigueur le [31],[7]. Paolo Passaglia relève que « la majorité était claire, mais loin d'être plébiscitaire, surtout en raison du fait que les rétentionnistes étaient en majorité dans un bon nombre de Cantons, voire dans la plupart de ceux-ci »[7]. La dernière exécution, celle d'Hans Vollenweider, intervient le dans le canton d'Obwald — où la cause rétentionniste avait obtenu près des quatre cinquièmes des suffrages lors du référendum —, plus d'un an avant l'entrée en vigueur de la réforme du code pénal[7],[32]. Selon Paolo Passaglia, l'abolition de la peine de mort en Suisse « a été le résultat d'une majorité populaire étroite qui a basculé au cours des décennies, grâce à plusieurs facteurs, parmi lesquels figure certainement la raréfaction des exécutions, qui a progressivement privé les rétentionnistes de l'argument selon lequel la peine capitale est un instrument indispensable pour lutter contre la criminalité »[7].
Seconde Guerre mondiale
Durant la Seconde Guerre mondiale, 17 personnes, parmi eux des membres de l'armée suisse, des civils ainsi que des étrangers, sont fusillés pour trahison entre 1942 et 1944. Cette dernière clause punissable de la peine de mort (droit pénal militaire) est à son tour abolie en 1992[33].
Depuis la Seconde Guerre mondiale
La Suisse est signataire de divers traités interdisant la peine de mort, notamment :
Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort - ratifié le
Troisième rapport présenté par la Suisse au Comité des droits de l'homme (extraits) le .
Rapport initial présenté par la Suisse au Comité des droits de l'enfant (extraits) le
Les protocoles n°6 (ratifié le , signé le ) et 13 (ratifié le , signé le ) de la Convention européenne des droits de l'homme, relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances ;
La Suisse a voté en 2007 et en 2008 une résolution de l'assemblée générale de l'Organisation des Nations unies appelant à l'abolition universelle de la peine de mort.
Le , Paul Koller (ambassadeur suisse pour les questions de droits humains) prend la présidence tournante de la Commission internationale contre la peine de mort.
À l'initiative de la Belgique, du Bénin, du Costa Rica, de la France, du Mexique, de la Mongolie, de la République de Moldova et de la Suisse, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU adopte une résolution sur la question de la peine de mort le .
En 1979, le Conseil national rejette par 131 voix contre 3 une initiative parlementaire de Valentin Oehen réclamant la réintroduction de la peine de mort pour l'assassinat et la prise d'otages[34].
En 1985, une initiative populaire visant à rétablir la peine de mort pour les trafiquants de drogue n'avait pas recueilli le nombre nécessaire de signatures pour être soumise au vote du peuple[35].
En , une nouvelle initiative populaire visant à rétablir la peine de mort en cas de meurtre ou assassinat accompagné de violences sexuelles est retirée par ses proposants quelques jours après avoir été validée par la Chancellerie fédérale[36].
↑ a et b(de) Meinrad Suter, Kleine Zürcher Verfassungsgeschichte 1218-2000, Zürich, Chronos Verlag, , 175 p. (ISBN3-905314-03-7, lire en ligne), p. 82-85.
↑Jean-Noël Cuénod et Colas Weber (illustrateur), « Un témoin muet expédie à la guillotine l’ultime condamné à mort genevois : Procès en Mémoire », La Lettre du Conseil, no 67, , p. 22-31 (lire en ligne, consulté le ). Publication de l’Ordre des avocats de Genève.
↑(de) Katharina Merian, « Richtschwert », sur zeitzeugnisse.ch, (consulté le ).
↑(de) Werner Sabitzer, « Sechs Neugeborene vergiftet », Kriminalgeschichte, Öffentliche Sicherheit - Das Magazin des Innenministeriums (Österreich), (consulté le ).
↑(de) « Der Kindermörder Heinrich Götti, Zürich 1865 », dans Julius Eduard Hitzig und Willibald Alexis, Der neue Pitaval : eine Sammlung der interessantesten Criminalgeschichten aller Länder aus älterer und neuerer Zeit, Band 2, Leipzig, Brockhaus, (lire en ligne), p. 399-422
↑Pierre Correvon, « L'affaire Freymond : La dernière exécution capitale dans le canton de Vaud », Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique (RICPTS), vol. 1, no 1, , p. 42-64 (lire en ligne, consulté le ).
↑(de) Peter Holenstein, « Der Waldmensch von Mauensee : Bericht über einen historischen Kriminalfall », Kriminalistik(de), vol. 67, no 7, , p. 482-490.
↑(de) Pil Crauer, Das Leben und Sterben des unwürdigen Dieners Gottes und mörderischen Vagabunden Paul Irniger, Basel, Lenos, , 340 p. (ISBN3-85787-095-8).
↑(de) Jonas Stöckli, Exempel : Todesstrafen für 17 «Landesverräter» durch die schweizer Militärjustiz während des zweiten Weltkrieges, Bern, Universität Bern, , 1559 p. (lire en ligne), p. 1508. Dissertation an der Philosophisch-historischen Fakultät der Universität Bern zur Erlangung der Doktorwürde.