Le chemin vers l'élection a été semé d'embûches pour les rivaux du sortant Kaïs Saïed. Les candidats devaient recueillir le parrainage de dix parlementaires, quarante élus locaux ou 10 000 électeurs à raison de 500 au moins par circonscription.
Après avoir écarté de nombreuses candidatures, dont celles des principaux opposants à Kaïs Saïed, l'ISIE confirme les candidatures de deux personnalités en dehors du chef de l'État, celles des anciens députés Zouhair Maghzaoui et Ayachi Zammel, mais écarte celles de Mondher Zenaidi, Abdellatif Mekki et Imed Daïmi, qui avaient été réintégrées par le Tribunal administratif. Cette décision est cependant contraire à la Constitution, qui dispose que les décisions du Tribunal administratif ne peuvent faire l'objet d'un appel. Le , le Tribunal administratif ordonne à l'ISIE d'accepter ces candidatures, ce que cette dernière refuse, avant que l'Assemblée des représentants du peuple, de crainte de l'invalidation de la présidentielle par celui-ci, ne transfère, par un amendement controversé de la loi électorale, les attributions du Tribunal administratif à la Cour d'appel de Tunis.
Pour sa part, à quelques semaines du scrutin, Ayachi Zammel, qui a obtenu le soutien d'une partie de l'opposition, est emprisonné puis condamné à un total de treize ans et huit mois de prison dans trois procès pour des accusations de faux parrainages. Ces condamnations expéditives sont interprétées par plusieurs observateurs et des ONG comme un acharnement judiciaire visant à écarter sa candidature, celui-ci semblant pouvoir réaliser un bon score lors du scrutin. De même, la mise à l'écart ou l'emprisonnement d'autres candidats est également dénoncé.
Kaïs Saïed l'emporte sans surprise avec 90 % des voix, pour un taux de participation d'un peu moins de 29 %.
Le , jour de la fête de la République, après des mois de crise politique entre le président de la RépubliqueKaïs Saïed et l'Assemblée des représentants du peuple, des milliers de manifestants réclament la dissolution de cette dernière et un changement de régime[2]. Le gouvernement se voit reprocher l'état catastrophique de l'économie et son inaction, qui conduit notamment à l'aggravation de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19. Le soir même, invoquant l'article 80 de la Constitution, Kaïs Saïed limoge le gouvernement Mechichi avec effet immédiat, en particulier Hichem Mechichi de ses attributions de chef du gouvernement et de ministre de l'Intérieur par intérim, annonce la suspension de l'assemblée — dont il lève l'immunité des membres —, la formation d'un nouveau gouvernement — qui sera responsable devant lui — et sa décision de gouverner par décrets ; il indique également qu'il présidera le parquet[3]. Ennahdha dénonce aussitôt un « coup d'État »[4]. Cette qualification de coup d'État est partagée par des analystes politiques et juristes[5].
Le , il confirme par décret le prolongement des décisions ainsi que la dissolution de l'Instance provisoire chargée du contrôle de la constitutionnalité des projets de loi, et décide de suspendre les salaires et les bénéfices accordés au président de l'Assemblée des représentants du peuple et ses membres[6], et s'octroie le droit de gouverner par décret, récupérant de facto le pouvoir législatif[7],[8]. Sa décision est critiquée par la plupart des partis représentés au Parlement[9].
Du au a lieu une consultation électronique sur les réformes à proposer en prévision du référendum. Lors du scrutin, qui a fait l'objet d'un très faible taux de participation, les options d'un passage à un régime présidentiel et au scrutin uninominal pour les législatives, l'emportent[11],[12],[13].
Le , 120 députés, sous la présidence du deuxième vice-président de l'assemblée Tarek Fetiti[14], se réunissent lors d'une session virtuelle pour voter la fin des mesures d'exception en vigueur depuis le . Le jour même, Kaïs Saïed dissout le Parlement, ce qu'interdit pourtant la Constitution durant la période où l'état d'exception est appliqué, et menace les députés de poursuites judiciaires[15],[16].
Le , Kaïs Saïed annonce que les élections se tiendront au scrutin uninominal majoritaire à deux tours[17]. Le , il indique que la loi électorale sera élaborée en considérant les recommandations des soutiens du processus du , et que le reste de la classe politique sera exclue de ce processus[18]. La loi électorale devra être publiée au plus tard le pour respecter les délais[19].
Le , la nouvelle Constitution est adoptée par référendum avec 94,60 % des voix[20]. Une nouvelle loi électorale est ensuite publiée par décret le [21]. La suspension du parlement est prolongée en attendant l'investiture de la nouvelle législature[22].
Plusieurs manifestations appellant à boycotter le scrutin présidentiel ont lieu à Tunis quelques jours avant le premier tour[23].
Avoir au moins 40 ans au moment de la présentation de la candidature ;
Jouir de tous ses droits civils et politiques ;
Ne pas avoir occupé le poste de président de la République pendant deux mandats consécutifs ou séparés ;
Ne pas être soumis à l'une des interdictions suivantes : perte de la qualité d'électeur et perte du droit de candidature résultant d'une condamnation pour les crimes mentionnés aux articles 161 et 163 de la loi électorale et à l'article 30 du Code pénal ;
Avoir les parrainages requis, soit alternativement :
Parrainage par quarante présidents des collectivités locales qu'il s'agisse de conseils locaux, régionaux ou municipaux ;
Parrainage par 10 000 électeurs inscrits sur les listes électorales répartis dans au moins dix circonscriptions, chaque circonscription devant comporter au moins 500 électeurs.
Le chemin vers l'élection a été semé d'embûches pour les rivaux du sortant Kaïs Saïed[25]. Les candidats devaient recueillir le parrainage de dix parlementaires, quarante élus locaux ou 10 000 électeurs à raison de 500 au moins par circonscription[26].
Candidats
Pressentis ou n'ayant pas déposé leur candidature
Hatem Boulabiar, ancien candidat en 2019, annonce en novembre 2020 sa candidature[27].
Rached Ghannouchi, président du mouvement Ennahdha, souhaiterait se présenter selon un groupe de membres du mouvement[28].
Adel Ltifi, un activiste, annonce en qu'il sera candidat[29],[30].
Nizar Chaari, ancien fondateur du mouvement New Chartage, annonce sa candidature en [31].
Fadhel Abdelkefi, ancien président du parti Afek Tounes et ancien ministre des Finances, annonce en qu'il pourrait être candidat[34].
Lazhar Akremi, journaliste, avocat et activiste politique, annonce sa candidature lors d'une audition judiciaire en [35].
Olfa Hamdi, présidente du Parti de la Troisième République, annonce sa candidature en [36].
Issam Chebbi, secrétaire général d'Al Joumhouri emprisonné depuis le , est proposé par son parti comme candidat en [37].
Néji Jalloul, président du parti Coalition nationale, ancien ministre de l'Éducation et candidat en 2019, annonce en qu'il n'écarte pas la possibilité d'une candidature[38].
Dhaker Lahidheb, cardiologue et ancien dirigeant du Courant démocrate, annonce son intention de se présenter en [39].
L'actrice Najoura Miled annonce son intention d'être candidate en [40].
Malek Saïhi, secrétaire général du mouvement des Jeunes patriotes tunisiens et ancien candidat aux élections législatives de 2022-2023 dans la circonscription de Nabeul, annonce sa candidature en [41].
Kamel Akrout, ancien premier conseiller à la sécurité nationale sous la présidence de Béji Caïd Essebsi, est pressenti comme candidat potentiel[42],[43],[44] et annonce sa candidature en [45].
Karim Gharbi dit K2Rhym, ancien rappeur et gendre du président Zine el-Abidine Ben Ali, dénonce la situation catastrophique du pays au niveau des matières premières et la répression croissante des médias ; il se profile comme candidat indépendant[52]. Il affirme que les autorités ne lui ont pas fourni un extrait de son casier judiciaire[53], et n'a pas déposé sa candidature.
Candidatures déposées
Le dépôt des candidatures à l'Instance supérieure indépendante pour les élections débute le et doit durer jusqu'au . 17 candidatures sont finalement déposées[54]. La liste préliminaire des candidatures doit être annoncée le après l'examen des dossiers et la liste définitive annoncée le [55].
Fathi Ben Khemaïes Krimi, travailleur journalier ayant également déposé sa candidature en 2019, soumet sa candidature le [56].
Leila Hammami, professeure d'économie, conseillère d'organisations internationales et militante de la société civile ayant annoncé sa candidature en [57] dépose sa candidature le [58].
Yosri Slimane, homme d'affaires, dépose sa candidature le [59].
Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre, annonce en qu'elle sera la candidate de son parti[60]. En détention depuis , sa candidature est déposée par son comité de défense le sans casier judiciaire ni parrainages, à la suite du refus de l'ISIE de fournir l'exemplaire nécessaire[61].
Kaïs Saïed, président de la République sortant, ayant annoncé officiellement sa candidature à sa propre réélection le [62], la dépose le [63].
Ayachi Zammel, chef du mouvement Azimoun, annonce son intention d'être candidat en [64] et la dépose le [65].
Les candidatures préliminairement retenues sont annoncées le . Il s'agit de celles du président sortant Kaïs Saïed, de Zouhair Maghzaoui et d'Ayachi Zammel[72]. Les autres postulants voient leurs candidatures rejetées, généralement pour un manque de parrainages. Nombre d'entre eux et d'entre ceux qui ont renoncé à se présenter sont poursuivis pour des soupçons de faux parrainages[25].
Le , l'autorité électorale confirme la validation des trois candidatures, trois autres candidatures, celle de Mondher Zenaidi, Abdellatif Mekki et Imed Daïmi, qui avaient été réintégrées par le Tribunal administratif, sont toutefois rejetées[73]. Cette décision est cependant contraire à la Constitution, qui dispose que les décisions du Tribunal administratif ne peuvent faire l'objet d'un appel et que le rôle de l'ISIE n'est que technique. Le président de l'ISIE assure que le Tribunal administratif n'est pas compétent et affirme que ce dernier n'a pas notifié la décision de réintégrer ces candidats, ce que le Tribunal administratif dément[74]. Cette décision est dénoncée par l'Union générale tunisienne du travail et Human Rights Watch[75].
Daïmi est pour sa part déféré par l'ISIE pour faux témoignage au sujet du non renoncement à sa nationalité française[76]. Pour sa part, Zenaidi annonce déposer un recours au Tribunal administratif[77]. Le , celui-ci ordonne à l'ISIE d'accepter ces candidatures[78]. Le , des députés déposent un projet d'amendement de la loi électorale, pour retirer au Tribunal administratif les prérogatives de valider les résultats des élections, en prévision où celui-ci, indépendant contrairement aux autres juridictions, n'invaliderait les résultats de la présidentielle[79]. Confiant les attributions du Tribunal administratif à la cour d'appel, la loi est adoptée le [80].
Secrétaire général du Mouvement du peuple, admirateur de Luiz Inácio Lula da Silva, il a longtemps conseillé officieusement le président sortant[81]. Considéré comme un « faire-valoir », il propose un programme souverainiste de gauche proche de celui du président sortant[82].
L'opposition est divisée entre boycott et vote pour un candidat d'opposition[109].
Un candidat du Front de salut national peut initialement être présenté par la coalition si les conditions sont réunies[110]. Cependant, en , elle annonce boycotter le scrutin qu'elle qualifie de « comédie électorale »[111].
Le numéro de Jeune Afrique de , dont la une et un large dossier sont consacrés à la dérive autoritaire de Kaïs Saïed, est interdit à la vente en Tunisie. Cette décision est comparée à la censure de l'époque de Zine el-Abidine Ben Ali[118].
Emprisonnement d'Ayachi Zammel
Le , Ayachi Zammel est arrêté puis placé sous mandat de dépôt deux jours plus tard pour des accusations de faux parrainages[119],[120]. Après avoir obtenu sa libération provisoire le [121], il est immédiatement arrêté[122], puis condamné à vingt mois de prison le [123].
Le , une nouvelle peine de six mois de prison pour « falsification de documents » est prononcée à l'encontre de Zammel[124]. Le , il est condamné à douze ans de prison supplémentaire, une décision, ainsi que le rejet et l'emprisonnement d'autres candidats, qui sont dénoncés par Human Rights Watch[125].
Cette accumulation de condamnations expéditives est interprétée comme un acharnement judiciaire reflétant la panique du pouvoir face au potentiel électoral de celui-ci, de nombreux opposants envisageant de voter pour lui, malgré son absence de notoriété, cette dernière l'ayant dans un premier temps épargné d'un rejet de sa candidature[126],[127].
Mise à l'écart des ONG Mourakiboun et I Watch
Le gouvernement écarte les ONG Mourakiboun et I Watch, qui ont surveillé tous les scrutins depuis 2011[109]. Celles-ci ont été accusées de bénéficier de financements étrangers. Par ailleurs, l'Union européenne, contrairement aux scrutins précédents, n'observe pas le scrutin, au contraire de la Russie et de l'Organisation de la coopération islamique[128].
Campagne du président sortant
S'impliquant peu dans la campagne, le président sortant bénéficie du soutien du mouvement du 25-Juillet, qui fait campagne pour lui. Selon la politologue Khadija Mohsen Finan, l'enjeu pour le président sortant est un taux de participation correct. Par ailleurs, bien que son autoritarisme écorne son image, il se soucie guère de celle-ci alors qu'il capitalise sur une rhétorique nationaliste, souverainiste et anti-occidentale. En retour, ce discours porte sur une bonne partie de la population, qui voit en lui un homme intègre[109].
Les résultats définitifs sont rendus publics le par l'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie). Kaïs Saïed l'emporte dès le premier tour avec plus de 90 % des voix, pour un taux de participation de 28 %[131]. La participation connaît ainsi une hausse par rapport aux 11 % des dernières élections législatives, mais en nette baisse par rapport aux 48 % de l'élection présidentielle de 2019. La réélection du président sortant intervient sans surprise en l'absence de réelle candidature d'opposition. Accusée d'être devenu un autocrate, il souffre par ailleurs de l'abandon d'une partie des électeurs, alimentant ainsi l'abstention[132].
Pour Pierre Vermeren, malgré une faible « légitimité démocratique », la majorité des Tunisiens « laissent faire »[82].
Notes et références
Notes
↑L'âge des candidats est donné au , date prévue pour le premier tour de l'élection présidentielle.
↑« Tunisie : le président s'arroge le pouvoir exécutif, Ennahdha condamne un « coup d'État contre la révolution » », Le Parisien, (ISSN0767-3558, lire en ligne, consulté le ).
↑Frida Dahmani, « Tunisie : poussé dans ses derniers retranchements, Kaïs Saïed dissout l'Assemblée », Jeune Afrique, (ISSN1950-1285, lire en ligne, consulté le ).
↑« Tunisie : Saied prolonge la suspension du Parlement, nouvelles élections en décembre 2022 », Le Figaro, (ISSN0182-5852, lire en ligne, consulté le ).
↑« Tunisie : trois candidatures retenues, dont celle du président Saïed, pour une élection présidentielle sans grand suspense », Le Monde, (ISSN0395-2037, lire en ligne, consulté le ).
↑ a et b« En Tunisie, la réintégration inattendue de l'opposant Mondher Zenaidi dans la course présidentielle », Le Monde, (ISSN0395-2037, lire en ligne, consulté le ).
↑Thomas Paillaute, « En Tunisie, l'instance électorale éteint tout espoir d'une présidentielle démocratique », Jeune Afrique, (ISSN1950-1285, lire en ligne, consulté le ).
↑« En Tunisie, le candidat à la présidentielle Ayachi Zammel a été placé en détention provisoire », Le Monde, (ISSN0395-2037, lire en ligne, consulté le ).
↑(ar) « المرزوقي يدعو التونسيين لمقاطعة “المهزلة الانتخابية”- (فيديو) » [« Marzouki appelle les Tunisiens à boycotter la « farce électorale » »], Al-Quds al-Arabi, (lire en ligne, consulté le ).
↑Léa Masseguin, « Présidentielle en Tunisie : le magazine Jeune Afrique interdit à la vente », Libération, (ISSN0335-1793, lire en ligne, consulté le ).
↑« Tunisie : nouvelle peine de six mois de prison pour Ayachi Zammel, candidat à l'élection présidentielle », Le Monde, (ISSN0395-2037, lire en ligne, consulté le ).
↑« Tunisie : le candidat Ayachi Zammel écope de 12 ans de prison à cinq jours de la présidentielle », Le Monde, (ISSN1950-6244, lire en ligne, consulté le ).