Le style de Horta rencontre beaucoup de succès auprès de la haute bourgeoisie qui, après l'Hôtel Tassel, lui commande de nombreux hôtels de maître, puis se déploie dans le secteur alors en plein développement des grands magasins, avant de faire de nombreux émules.
L'art nouveau belge s'impose également dans l'architecture scolaire avec les œuvres d'Henri Jacobs puis influence plusieurs pays européens comme la France, l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Autriche.
Historique
La genèse
Avec l'Hôtel Tassel, édifié en 1893, Victor Horta entend inventer un style nouveau, un « Art nouveau », et réagir à l'architecture éclectique en Belgique qui avait dominé tout le XIXe siècle et se contentait de copier le passé en le déclinant sous diverses formes (éclectisme pur, néoroman, néogothique, néo-Renaissance italienne, néo-Renaissance flamande, néo-Tudor, néobaroque…).
La même année, Paul Hankar construit sa maison personnelle rue Defacqz dans un style « Art nouveau géométrique » bien différent de l'« Art nouveau floral » de Victor Horta.
Le style de Victor Horta s'impose aussi dans le secteur alors en plein développement des magasins (avec les magasins Waucquez en 1906 et les magasins Wolfers frères en 1909) et des grands magasins (avec L'Innovation en 1900 et le Grand Bazar Anspach en 1903).
Anciens magasins Wolfers frères (baie du troisième étage).
Anciens magasins Wolfers frères (colonne).
Les écoles
L'art nouveau s'impose également dans l'enseignement où l'architecte Henri Jacobs, émule de Victor Horta, fut l'auteur d'une quinzaine d'écoles dans la région bruxelloise[1].
L'Art nouveau s'impose plus particulièrement dans le réseau d'enseignement laïc, le style néo-gothique triomphant dans l'enseignement catholique.
Très vite, l'Art nouveau s'impose en architecture mais aussi dans toutes les disciplines des arts décoratifs belges : sculpture, vitrail, sgraffite, céramique, mobilier, papier-peint, lithographie, orfèvrerie, bijouterie…
Le rayonnement international de l'Art nouveau belge
L'Exposition du Congo à Tervuren en 1897
En marge de l'Exposition Universelle de 1897 qui se déroula à Bruxelles, le roi Léopold II organisa à Tervuren (près de Bruxelles) une exposition destinée à montrer les débouchés offerts par le Congo, qui était alors sa propriété privée. Cette exposition était divisée en quatre sections dont la conception fut confiée respectivement à Paul Hankar, Georges Hobé, Henry Van de Velde et Gustave Serrurier-Bovy.
Un salon d'honneur, conçu par Hankar, était consacré à la sculpture chryséléphantine : on pouvait y admirer les sculptures sur ivoire d'une trentaine de sculpteurs[3].
Mais, quelques années plus tard, les élèves de Hankar (Paul Hamesse et Léon Sneyers) subirent en retour l'influence de la Sécession viennoise, entre autres par le biais du Palais Stoclet construit à Bruxelles par le Viennois Josef Hoffmann.
Le déclin
La récupération de l'Art nouveau par l'éclectisme
Paradoxalement, alors que Victor Horta entendait réagir aux styles éclectique et « néo », ces styles s'immisceront dans l'architecture Art nouveau de Bruxelles.
Mais ce phénomène prendra plusieurs formes distinctes :
de nombreux architectes concevront des immeubles tantôt purement éclectiques, tantôt purement Art nouveau, tantôt de style Art nouveau teinté d'éclectisme : Govaerts, Groothaert, Tilley, Delcoigne, les frères Delune, Fastré, Lodewyck, Desruelles, Peereboom, Bral, De Lestré, Boelens, Fernand Lefever, Nelissen, Joseph Dosveld, etc. ; le meilleur exemple de cette tendance est Paul Saintenoy qui construisit à quelques dizaines de mètres de distance un grand magasin Art nouveau (« Old England »), une pharmacie néo-Renaissance (« pharmacie Delacre ») et un immeuble éclectique (« Caisse Générale de Reports et de Dépôts »).
enfin la plupart des architectes éclectiques de l'époque ajouteront tout simplement l'Art nouveau à la palette des styles qu'ils plagient et intégreront dans leurs façades l'un ou l'autre élément décoratif emprunté à l'Art nouveau (céramique, sgraffite…) : ce dernier phénomène contribuera au déclin de l'Art nouveau en Belgique en le pervertissant et en le banalisant.
Miné par les excès rococo de certains architectes comme Gustave Strauven qui finissent par lasser, perverti et « récupéré » par l'éclectisme, il cède la place à partir de 1919 à l'Art déco et au Modernisme.
Seuls quelques très rares architectes continuent à faire de l'Art nouveau après 1918, comme Fernand Lefever qui pratiqua encore ce style jusqu'en 1924.
A contrario, on notera que plusieurs architectes Art nouveau belges se tournent, après la Première Guerre mondiale, vers l'Art déco, au premier rang desquels Horta lui-même. On trouvera plus bas la liste de ces architectes et de leurs réalisations Art déco.
Caractéristiques stylistiques
« Art nouveau floral » et « Art nouveau géométrique »
D'emblée émergent deux courants différents :
la tendance « Art nouveau floral » initiée par Victor Horta pour l'architecture et Raphaël Évaldre pour les arts décoratifs, caractérisée par la fameuse « ligne en coup de fouet », ses lignes sinueuses inspirées du monde végétal et ses motifs floraux stylisés, à la décoration abondante (et parfois excessive comme chez Gustave Strauven qui n'est pas loin du « style rocaille ») et qui n'est paradoxalement pas toujours exempte de réminiscences médiévales (clairement perceptibles chez Ernest Blerot par exemple)
la tendance « Art nouveau géométrique » initiée par Paul Hankar pour l'architecture et Gustave Serrurier-Bovy pour les arts décoratifs, caractérisée par une décoration géométrique et abstraite, plus sobre, mais tellement plus moderne : à travers son influence sur le courant géométrique de la Sécession viennoise et sur le Nieuwe Kunst en Hollande, elle mènera à l'Art déco.
La palette ornementale de l'architecture Art nouveau
Les édifices Art nouveau se parent d'une grande diversité d'ornements comme :
Outre les architectes de province cités plus haut, il convient de mentionner les édifices réalisés en province par les ténors de l'Art nouveau bruxellois ainsi que quelques édifices provinciaux remarquables.
Réalisations en province des architectes Art nouveau bruxellois
Rue du vieux Mayeur : une douzaine de réalisations art nouveau dont aux n° 38, 42/44 : arch. Paul Jaspar et aux n° 51 à 55 : une séquence de Joseph Nusbaum
L'Art nouveau bruxellois a beaucoup souffert des outrages du temps et de l'homme, mais il a pu compter sur l'action de plusieurs personnalités et associations pour assurer sa sauvegarde :
l'association ARAU (Atelier de Recherche et d'Action Urbaines) fondée en 1969, organisatrice de nombreuses visites guidées de Bruxelles visant à faire connaître l'Art nouveau et l'Art déco bruxellois ;
l'association G.E.R.P.M.-S.C. (Groupe d'Études et de Recherches Peintures Murales - Sgraffites Culturels) fondée en 1991 et engagée dans l'inventaire, la protection et la restauration des sgraffites de Bruxelles, sous l'impulsion de Simone De Boeck, de sa sœur Monique Cordier, restauratrice de sgraffites, et de leur équipe ;
↑Brochure des journées du patrimoine 1999 de la Région de Bruxelles-Capitale, p.41
↑Brochure des journées du patrimoine 2001 de la Région de Bruxelles-Capitale, p.45
↑Source : Bruxelles fin de siècle, sous la direction de Philippe Roberts-Jones, éditeur Flammarion
↑Ces vitrines provenant du Magasin Wolfers construit par Horta rue d'Arenberg ont été démontées en 1974 et remontées en 1977 dans une salle des Musées Royaux d'Art et d'Histoire à Bruxelles (Parc du Cinquantenaire)
Paul Aron, Françoise Dierkens, Michel Draguet, Michel Stockhem, sous la direction de Philippe Roberts-Jones, Bruxelles fin de siècle, Flammarion, 1994
Françoise Aubry, Jos Vandenbreeden, France Vanlaethem, Art nouveau, art déco et modernisme, Éditions Racine, 2006
Franco Borsi, Victor Horta, Éditions Marc Vokar, 1970
Franco Borsi, Bruxelles, capitale de l'Art nouveau, Éditions Marc Vokar, 1971
Franco Borsi, Paolo Portoghesi, Victor Horta, Éditions Marc Vokar, 1977
Maurice Culot, Anne-Marie Pirlot, Art Nouveau, Bruxelles, AAM, 2005
Alice Delvaille et Philippe Chavanne, L'Art Nouveau dans le Namurois et en Brabant Wallon, Alleur, 2006.
Françoise Dierkens, Jos Vandenbreeden, Art nouveau en Belgique : Architecture et Intérieurs, Éditions Racine, 1991
Éric Hennaut, Walter Schudel, Jos Vandenbreeden, Linda Van Santvoort, Liliane Liesens, Marie Demanet, Les Sgraffites à Bruxelles, Fondation Roi Baudouin, Bruxelles, 1994
Éric Hennaut, Liliane Liesens, L'avant-garde belge. Architecture 1880-1900, Bruges, 1995, Stichting Sint-Jan et Archives d'Architecture Moderne
Éric Hennaut, Maurice Culot, La façade Art Nouveau à Bruxelles, Bruxelles, 2005, AAM
Louis Meers, Promenades Art Nouveau à Bruxelles, Bruxelles, éditions Racine, 1995.
Christian Mesnil, Chefs-d'œuvre de l'Art nouveau à Bruxelles, Éditions Aparté
Benoît Schoonbroodt, Aux origines de l'Art nouveau. Adolphe Crespin (1859-1944), Gand, 2005
Benoît Schoonbroodt, Privat Livemont: entre tradition et modernité au cœur de l'Art nouveau, Éditions Racine, 2007
Benoît Schoonbroodt, Artistes belges de l'Art nouveau (1890-1914), Éditions Racine, Bruxelles, 2008.