À Bruxelles, Mortelmans connut pas mal de problèmes, en particulier depuis que le conseil communal de la Ville d'Anvers lui avait refusé une bourse d'études et, en septembre 1888, il quitta le Conservatoire de Bruxelles. L'école de musique d'Anvers désirait pouvoir se vanter un jour, et de préférence dans le plus bref délai, d'un étudiant ayant remporté le Prix de Rome pour que fût prouvé le niveau de l'éducation dispensée. C'était à Mortelmans qu'incombait le devoir de devenir le premier élève de Benoit à remporter le prix. Pourtant, ce fut à l'insu de Benoit qu'il tenta sa chance en 1889. Plus tard, Mortelmans rendit ce témoignage :
« Benoit m'avait déconseillé d'y aller en disant : "Tu obtiendras quelque chose, mais il serait préférable d'attendre afin de remporter d'emblée le premier prix." Or, je lui répondis que je n'avais pas pensé pouvoir obtenir quoi que ce soit, mais que je voulais juste savoir comment a lieu un tel concours. C'était donc à l'insu de Benoit que j'ai posé ma candidature[5]. »
« Je suis entièrement d'accord avec Benoit qu'une œuvre d'art doit toujours traduire les sentiments personnels et les impressions les plus élevées du compositeur. Cela ne peut se réaliser correctement que lorsque l'œuvre d'art est inspirée par la langue dans laquelle pense l'artiste. Je n'ai donc pas hésité un instant à choisir le texteflamand de Lady Macbeth pour le Prix de Rome, bien qu'il s'agisse d'une mauvaise traduction. Cela ne veut pas dire que je ne voudrais pas composer sur un texte en français. Je ne m'y risquerais que si cela correspond parfaitement à mes principes harmoniques[6],[4]. »
1893-1924
Après avoir obtenu le Prix de Rome, Mortelmans fut accueilli à Anvers comme un vrai héros, salué entre autres par le cercle De Scalden. Sa victoire avait une signification plus que symbolique dans la bataille menée par Benoit pour que son école de musique obtînt le statut de conservatoire royal. Il n'est donc pas étonnant de voir jouer Mortelmans un rôle d'importance lors des célébrations du Conservatoire royal d'Anvers en 1897. Au concert de célébration du , Mortelmans dirigea le Feestzang (Chant de fête) de Benoit ainsi que sa propre composition de circonstance en hommage à Benoit[4].
Après la mort de Benoit en 1901, le nom de Mortelmans circulait comme celui de son successeur éventuel. Lorsque Blockx fut nommé à ce poste[4], Mortelmans fut offert le cours de contrepoint et fugue en 1902[3], ce qui représentait le poste le plus en vue après celui de directeur. Après la mort de Blockx, en 1912, Mortelmans posa explicitement sa candidature. Sur ces entrefaites, il s'était fait une solide réputation de chef d'orchestre de la Société des nouveaux concerts[9], qui avait, entre autres, attiré à Anvers des chefs d'orchestre et des solistes internationaux. À sa grande déception, il dut cette fois-ci céder le pas à Émile Wambach, tout en demeurant professeur de contrepoint et de fugue et étant partout très respecté en raison de ses compétencespédagogiques. Jan Broeckx, expert en matière de ce compositeur, s'exprime à ce sujet en ces termes :
Après la mort de Wambach, survenue le , Mortelmans devint, le de cette année, le quatrième directeur du conservatoire d'Anvers[4], poste qu'il occupera jusqu'en 1933[3].
Sous le directorat de Mortelmans, le nombre d'élèves diminuait : de 1 500 en 1924 le nombre fut réduit à quelque 740, moins de la moitié, en 1931. Cela s'explique par une combinaison de circonstances : la crise économique, les taxes plus élevées sur la musique exécutée en direct dans les cafés et les discothèques (incitant de nombreux exploitants à opter pour un orgue mécanique ou un tourne-disque), la percée du film sonore et, également, l'aspiration à la qualité de Mortelmans. À l'époque, le directorat était principalement considéré comme une récompense des mérites d'éminents compositeurs. Cela n'empêcha pas que Mortelmans devait investir beaucoup de temps et d'énergie dans des questions administratives. Dans une lettre à Pol De Mont, datée du , il se plaignit d'une bureaucratie qui tue toute créativité :
« La vie exige de moi, ce solitaire, un grand sacrifice. Je suis tellement pris dans les rouages de la machine administrative que je ne sais plus si j'ai jamais été en mesure de composer, ni si je le pourrais dans l'avenir. »[16],[4]
Dans une superbe étude sur Mortelmans, Jan Broeckx distingue six périodes dans l'ensemble des chansons de Mortelmans : le réalismeromantique (1887-1896), le lyrismesentimental (1900-1902), une première période éclectique (1903-1913), une période d'introspection (1913), une seconde période éclectique (1925-1934) et la période de l'équilibre entre l'expression et l'impression. Selon Broeckx, Mortelmans réussit à merveille à réaliser l'unité psychologique absolue des paroles et de la musique dans ses meilleures chansons. Mortelmans mit en musique des poèmes de Guido Gezelle, mais aussi des textes de Goethe, de Van Eeden et de Baudelaire. D'autres qualités de son art du chant sont la structure équilibrée, la mélodie élégante et la partie de piano efficace et expressive. Ses chansons comptent parmi ce qui a été écrit de meilleur dans ces années-là. C'est donc à juste titre que Mortelmans fut appelé le prince de la chansonflamande[4]. Ces chansons sont l'expression la plus significative de son évolution compositionnelle et atteignent un niveau international. Elles témoignent d'un naturalisme sophistiqué. En outre, elles se caractérisent par une grande expression dramatique, par la mélodie gracieuse et fluide, et parfois par des harmoniesmodales[13].
Opéra
La thématique de son opéraKinderen der Zee (Les Enfants de la mer ; livretnéerlandais de Rafaël Verhulst) appartient au réalismeromantique tandis que la partition est encore sous l'influence de Wagner[4]. Le premier et unique opéra de Mortelmans eut sa première le à Anvers, pendant les festivités à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de l'Opéra flamand. On loua la musique, mais la critique reprocha au compositeur qu'il n'était pas assez sensible aux développements dramatiques et à l'élaboration scénique. Plus tard, Mortelmans en distilla une suite[17].
Musique instrumentale
Œuvres pour piano
Les pièces pour piano de Mortelmans revêtent généralement un caractère de chanson. Il s'agit de miniatures intimistes, plutôt que de pièces de concert virtuoses[4]. Sa musique pour piano a évolué de l'impressionnisme vers un lyrismeromantique[13].
Parmi ses œuvres pour piano les plus célèbres : Vier lyrische stukken (Quatre pièces lyriques, 1919), Het wielewaalt en leeuwerkt (Le Loriot et l'Alouette, 1921) et Saidja's lied (La Chanson de Saidja, 1929)[4].
De Kinderen der Zee (Les Enfants de la mer, drame lyrique, paroles de Raf Verhulst, 1901-1915) ;
Des chansons avec accompagnement de piano ou d’orchestre, le plus souvent sur des paroles de Guido Gezelle, entre autres : Het jonge jaar (Le Nouvel An), Hoe schoon de morgendauw (Qu'elle est belle, la rosée du matin), 't Is de Mandel (C'est la Mandèle), 't Pardoent, Wierook (Encens), 't Avondt (Le Soir), 't Meezeken (La Petite Mésange bleue), 'k Hoore tuiten d'hoornen (C'est le cor qui sonne), Roses, 't Groeit een blomken (Une fleur pousse), Wiegeliedje (Berceuse), Klokkenzang (Chant des cloches), Als de ziele luistert (Lorsque l'âme écoute), Doe dit te mijne indachtigheid (Faites cela en souvenir de moi), O mocht ik (Ô, si je pourrais), Kerkhofblommen (Fleurs de cimetière), Blijde mei (Joyeux mai), Moederken (La Petite Mère), Perels (Perles), et sur les paroles d'Albrecht Rodenbach, de Pol de Mont, de Frans de Cort, de Frederik van Eeden, de Charles Baudelaire, de Johann Wolfgang von Goethe, e. a. ;
↑« Benoit raadde mij af van te gaan, zeggende: "ge zult wel iets halen, maar 't ware beter te wachten om ineens den eersten prijs te behalen". Maar ik antwoordde dat ik er niet aan dacht iets te halen, maar dat ik slechts wou ondervinden hoe zulk een prijskamp verliep. Het is dan ook buiten weten van Benoit dat ik mij aangaf. »
↑« Ik ben het volledig met Benoit eens dat een kunstwerk altijd de persoonlijke gevoelens en de hoogste impressies van de componist moet vertalen. Dit kan alleen maar eerlijk gebeuren wanneer dat kunstwerk geïnspireerd wordt door de taal zelf waarin de kunstenaar denkt. Ik heb dan ook geen ogenblik geaarzeld om voor de Prijs van Rome de Vlaamse tekst van Lady Macbeth te kiezen, al was het een slechte vertaling. Dit wil niet zeggen dat ik nooit op een Franse tekst zou willen componeren. Ik zou me er alleen maar aan wagen indien dit absoluut overeenstemt met mijn harmonische principes. »
↑« Als pedagoog heeft Mortelmans een groot aantal componisten opgeleid en welk op zulke wijze dat ze geen duplicaten van hemzelf, maar zelfstandige, uiteenlopende persoonlijkheden zijn geworden: van de romantische en nationalistische Jef Van Hoof, tot de internationaal gerichte expressionist Jef Van Durme. »
↑« Het leven vraagt van mij, eenzame, een groot offer. Komponeeren? Komponeeren? 'k Zit zoodanig beetgepakt in het raderwerk van de administratieve machine, dat ik niet meer weet ooit te hebben kunnen komponeeren of het ooit nog te kunnen. »
(nl) Buyssens, Marie-Therese. Van Private Muziekschool tot Koninklijk Vlaams Muziekconservatorium, Anvers, Conservatoire royalflamand, 1981, 106 p.
(nl) Broeckx, Jan L. Lodewijk Mortelmans, een Van-Nu-en-Strakser der Muziek, Anvers, N.V. Standaard-Boekhandel, 1945, 347 p. (contient une liste chronologique et systématique des œuvres de Mortelmans).
(nl) Dewilde, Jan. « Lodewijk Mortelmans (Anvers, 1868-1952) [notice traduite du néerlandais par Simonne van der Eyken] », In Flanders' Fields Vol. 33, Lodewijk Mortelmans (1868-1952), CD, Phaedra 92033, [ 2000 ?], p. 7-9.
(nl) Dewilde, Jan. « Lodewijk Mortelmans », Studiecentrum voor Vlaamse Muziek [Centre d'études de la musique flamande], [En ligne], réf. du , [www.muziekcentrum.be].
(nl) Heughebaert, H. « Lodewijk Mortelmans werd 100 jaar geleden geboren », Harop, Anvers, 1968, no 4, p. 99-105.
(nl) 1898, Van de helden, premier mouvement de la Homerische Symfonie interprétée par deFilharmonie (Royal Flemish Philharmonic), sous la direction de Martyn Brabbins, note explicative de Tom Janssens en traductionfrançaise sur le site web de Hyperion Records