Le régime communiste de Roumanie (en roumain : Regimul comunist din România) est le nom employé en Roumanie pour désigner l'État communiste sous la gouvernance du Parti communiste roumain (du au ). Cette période peut être divisée en trois phases qui correspondent aux trois régimes constitutionnels successifs :
L'ensemble de la période allant du au est désignée sous le nom de « Roumanie communiste »[2] ou, plus rarement, de « Roumanie socialiste »[3]. S'auto-désignant comme une « démocratie populaire », la Roumanie demeura politiquement alignée sur l'URSS jusqu'en 1964, date à laquelle elle prit une posture plus indépendante, tout en continuant de faire partie du bloc de l'Est. Durant cette période le pays connait un régime totalitaire d'inspiration marxiste-léniniste, caractérisé par[4] :
sur le plan juridique, la position constitutionnellede jure du Parti communiste roumain comme « parti unique et organe dirigeant de l’état », interdisant de facto la constitution d’associations, syndicats ou autres structures sociales indépendantes du pouvoir, et imposant un courant de l’autorité et de légitimité » (souveraineté), allant du sommet (le Comité Central) vers la base (les autres structures du parti, les citoyens) ;
sur le plan politique la privation des libertés individuelles, en s'appuyant sur un outil policier très développé, sans garde-fou judiciaire. La présence massive d'une police politique secrète infiltrant toute la société : la Securitate dont l’activité s’étendait à la censure, à l’écoute aléatoire et sans contrôle juridique des conversations téléphoniques, à l’ouverture du courrier, au maillage territorial, institutionnel et professionnel systématique du pays par un réseau d’informateurs permanents et payés ou bien occasionnels et menacés, à la pratique courante d’arrestations arbitraires, de tortures en cours d’interrogatoire et d’internement psychiatrique et de déportation des citoyens arrêtés, avec ou sans « jugement », dans les réseaux de camps de travaux forcés de la steppe du Bărăgan ou du canal Danube-Mer Noire. Jusqu’en 1964, la Securitate fut aussi coutumière des exécutions extra-judiciaires ;
sur le plan économique, une stricte planification d’état, impliquant non seulement les orientations macro-économiques et le commerce international, mais aussi tous les aspects de la production, de la distribution et de la consommation. En outre, l'économie communiste roumaine a été marquée par une forte campagne de nationalisation et centralisation de toutes les actions économiques[5]. Cette logique s’est déclinée au mépris des ressources disponibles, des possibilités techniques, de l’environnement et des besoins de la population, interdisant toute forme d’autogestion et induisant des inégalités entre la bureaucratie du Parti et de l’État qui disposait d’un niveau de vie comparable aux classes moyennes d’Europe occidentale, et le reste de la population aux prises avec une pénurie permanente d’énergie, de denrées, de produits finis et de services (ce qui encourageait le développement d’une économie informelle, mais spéculative) ;
sur le plan culturel, un strict contrôle des activités artistiques, littéraires, scientifiques et muséologiques, des médias et des droits des citoyens roumains à l’opinion, à l’expression et à la formation de clubs, associations ou amicales ;
une violation permanente de la liberté de circulation, tout déplacement nécessitant des autorisations et divers visas préalables pour changer d’emploi, de domicile, de résidence à l’intérieur du pays, et encore plus pour voyager hors du pays, et surtout dans les pays non-communistes ;
enfin une violation du droit de propriété, se manifestant non seulement au niveau des entreprises mais aussi des simples citoyens par la nationalisation généralisée sans compensation des moyens privés de production, et une confiscation systématique des propriétés des citoyens considérés comme « ennemis de l’ordre socialiste » (dușmani ai orânduirii socialiste), soit de par leur activité passée, soit du simple fait de l’origine sociale dite « bourgeoise-latifundiaire » (clasa burghezo-moșierească) de leurs ancêtres. L’État s’est approprié tous ces biens par simples décrets, le plus important étant le décret no 92 de 1950[6], ou même sans décret par voie de coercition, plus de 400 000 immeubles dont plus de 150 000 ont été démolis[7].
Sur le plan idéologique et éthique, ce régime a tourné le dos à l’idéal communiste dont il se réclamait : deux dictons populaires de l’époque de la dictature communiste étaient que PCR signifiait pile, combinații, relații soit « piston, magouilles, relations », et que dans ce régime, toutes les briques de l’édifice sont théoriquement égales, mais pratiquement celles d’en bas doivent supporter le poids de celles d’en haut[8],[9].
La « Commission historique d’investigation et d’analyse des crimes du régime communiste »[14] coordonnée par Vladimir Tismăneanu(en) et mise en place en 2005, a rendu ses conclusions en 2007 : elle impute au régime 2 215 000 victimes en 45 ans soit environ 11 % de la population, en tenant compte non seulement des 975 000 victimes directement dues à la répression (exécutions, morts en détention pour motifs politiques) mais aussi de celles dues à la pénurie institutionnalisée, aux disettes provoquées par les réquisitions, au manque d'énergie et donc de chauffage, au manque de sécurité dans le travail, à l'emploi massif des prisonniers pour les travaux dangereux et de grande envergure, et au manque de soins aux plus faibles dû à l'indigence des fournitures médicales et pharmaceutiques[15],[16].
La dictature se réclamant du communisme et autoproclamée « démocratie populaire », qu’a exercée entre le et le le Parti communiste roumain, a été reconnue en 2004 par le Parlement roumain comme « génocidaire », ayant « conçu et mis en œuvre un plan concerté et prémédité d’extermination sous prétexte de lutte des classes et de praxis révolutionnaire »[17]. Avec la grande famine ukrainienne des années 1930[18], c’est le seul cas de reconnaissance juridique officielle d’un crime de masse commis sur critères politiques et sociaux comme « génocide » (même le Goulag, le Laogai ou le génocide cambodgien ne sont pas juridiquement reconnus comme génocides, car la définition internationalement reconnue postule qu’un génocide ne peut avoir été commis qu’exclusivement sur des critères nationaux, ethniques, raciaux ou religieux).
Le rapport de 660 pages de la « Commission historique d'investigation et d'analyse des crimes du régime communiste »[14] commence par une citation de Jules Michelet à propos de la Révolution française et se présente comme un « premier pas vers une analyse historique plus exhaustive de la période communiste » (qui n'a jamais été réalisée). Il a suscité des controverses tant en Roumanie qu’à l’étranger.
Hors-frontières, de nombreux historiens et juristes ont critiqué l’entorse faite par la Roumanie (comme par l’Ukraine) au principe selon lequel seuls des critères nationaux, ethniques, raciaux ou religieux peuvent définir un « génocide », à l’exemple du génocide arménien, de la Shoah ou de la Porajmos. En Roumanie même, les leaders anciennement communistes, devenus nationalistes comme Adrian Păunescu ou Corneliu Vadim Tudor (président du parti d'extrême-droite PRM), ont invectivé à la télévision Vladimir Tismăneanu ou fait siffler dans l’enceinte du parlement le président Traian Băsescu pour avoir approuvé ces travaux.
« J'ai trouvé dans ce rapport les raisons pour lesquelles je peux condamner, au nom de la démocratie, les crimes du régime communiste en Roumanie dont d’anciens dignitaires occupent toujours des positions importantes dans la politique, les affaires et les médias » a déclaré au parlement le président Traian Băsescu (proche des libéraux) sous les sifflets et les huées de l’opposition socialiste et nationaliste.
En , soit 16 ans après la fin du régime communiste, la Fondation pour une société ouverte publie un sondage[19] indiquant que les Roumains considèrent le communisme réel, tel que le pays l'a connu, comme :
12 % : une bonne idée aux conséquences globalement positives ;
41 % : une bonne idée mal appliquée aux conséquences globalement négatives ;
34 % : une mauvaise idée aux mauvaises conséquences ;
↑Source : son neveu Radu-Alexandru Tănase sur L'homme qui joua sa vie sur scène[1].
↑(ro) Comisia Prezidentiala pentru Analiza Dictaturii Comuniste din Romania - (Commission présidentielle pour l'analyse de la dictature communiste en Roumanie) RAPORT FINAL - (coord.) Vladimir Tismaneanu - rapport final en langue roumaine
↑Archie Brown, The Rise and Fall of communism, Vintage Books, 2009, page 105 ; Jean-François Soulet, Histoire comparée des États communistes de 1945 à nos jours, Armand Colin, coll. « U », 1996, pages 11-42 et Alexandre Zinoviev, Le Communisme comme réalité, Julliard, 1981, page 58.
↑Il est difficile de trouver des sources sûres mais il semble que l'ordre de grandeur soit celui-ci : Gheorghe Țară, député et représentant de la « Commission Abus » de la Chambre des Députés, dans son intervention lors du premier Congrès international des propriétaires de Roumanie (Bucarest, les 15-17 septembre 2000), cite des données statistiques de 1994, sans préciser la source exacte (il s’agit, selon G. Țară, de 400 433 immeubles expropriés, dont 154 000 démolis). D'autres évoquent des chiffres encore plus importants. (en) Source: - The Roof over Our Head: Property Restitution in Romania (page 184).
↑Bancuri din iepoca odiosului (Blagues de l'époque de l'odieux), éd. Orientul Latin, Braşov, 1992
↑Le « crime contre l’humanité » est une incrimination créée en 1945 dans le statut du Tribunal militaire de Nuremberg, établi par la Charte de Londres du Tribunal militaire international (art. 6, c) pour désigner une « violation délibérée et ignominieuse des droits fondamentaux d'un individu ou d'un groupe d'individus inspirée par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux » (cité par Jean-Philippe Feldman, article « Crime contre l'humanité » dans le Dictionnaire de la culture juridique, dir. Denis Alland et Stéphane Rials, éd. PUF, 2003).
↑(en) Gheorghe Boldur-Latescu, The communist genocide in Romania, (ISBN978-1-59454-251-0) et Victor Frunză (dir.), (ro) Istoria Partidului Comunist Român, éd. Nord, Aarhus, Danemark, 1984 et (ro) Istoria stalinismului în România, éd. Humanitas, Bucarest 1990, (ISBN9739120059)
↑Hélène Despić-Popović, « Kiev reconnaît la grande famine comme génocide », dans Libération du 29 novembre 2006, [lire en ligne].
↑Michael Hein, (en) The Fight Against Government Corruption in Romania: Irreversible Results or Sisyphean Challenge ? juin 2015, sur [8] et tandfonline.com.