Harmonie des sphèresL’harmonie des sphères ou Musique des Sphères est une théorie d'origine pythagoricienne, fondée sur l'idée que l'univers est régi par des rapports numériques harmonieux, et que les distances entre les planètes dans la représentation géocentrique de l'univers — Lune, Mercure, Vénus, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne, sphère des fixes — sont réparties selon des proportions musicales, les distances entre planètes correspondant à des intervalles musicaux. Les pythagoriciens se partageaient entre mathématiciens (de mathematikoi en grec, « ceux qui s’adonnent à l’étude ») et acousmaticiens (acousmatikoi, « ceux qui écoutent » les préceptes du maître Pythagore, et gardent le silence), mais les deux étaient intéressés par l’harmonie des sphères, notion à la fois scientifique étudiée à travers l’astronomie, les mathématiques, la musicologie, et métaphysique (notion de Tout, d'harmonie). Il faut s'entendre sur les mots. En grec ancien, on dit harmonia tou kosmou, « harmonie du cosmos », « musique du monde ». Le mot « harmonie » a un sens très large, il désigne surtout les bonnes proportions, la convenance entre parties, d'une part, et entre parties et tout, d'autre part. Le mot « musique » (mousikê) renvoie à l'Art des Muses (suivantes d'Apollon), à toute culture de l'esprit, artistique ou scientifique, par opposition à la gymnastique, « culture du corps »[1]. Le mot « sphère », chez Aristote, dans son traité Du ciel, désigne la zone d'influence d'une planète. La théorie de l'harmonie des sphères chez les pythagoriciens est attestée dès Platon[2] et surtout Aristote[3]. Elle date sans doute d'une période postérieure à Pythagore (530 av. J.-C.) et même Philolaos (400 av. J.-C.) VariantesDans les textes anciens[4], cette théorie connaît beaucoup de variantes, et l'on peut distinguer trois formes d'harmonie des sphères — même si cette distinction n'est pas proposée par les textes anciens.
HistoireLa notion d'harmonie des sphères remonte indirectement, sans que ce soit historiquement attesté, au pythagoricien Philolaos, vers 400 av. J.-C.[7] Philolaos était à la fois mathématicien et astronome. Pour lui, le monde était « harmonie et nombre », tout était arrangé selon des proportions qui correspondaient aux trois consonances de base de la musique : 2:1 (harmonie), 3:2 (quinte), 4:3 (quarte). Le pythagoricien Nicomaque de Gérase (vers 200) assigna les notes de l'octave aux corps célestes, de sorte qu'ils produisent une musique[8]. Platon présenta la notion dans La République[9]. Il y décrit un ordre de huit cercles ou orbites : étoiles fixes, Saturne, Jupiter, Mars, Mercure, Vénus, Soleil, Lune, qui se distinguent par leur rang quant aux distances (de l'extérieur vers l'intérieur : étoiles, Vénus, Mars, Lune, Soleil, Mercure, Jupiter, Saturne), aux couleurs (du plus au moins clair : étoiles, Soleil, Lune, Saturne, Mercure, Jupiter, Mars, Vénus), aux vitesses de révolution (du plus au moins rapide : étoiles, Lune ; Mercure, Vénus, Soleil ex æquo ; Mars, Jupiter, Saturne).
Platon prend pour unité de mesure l'intervalle Terre/Lune[10], et il admet la même série : Lune, Soleil, Vénus, Mercure, Mars, Jupiter, Saturne, étoiles fixes. Les termes de la série de l'Âme du monde (1, 2, 3, 4, 9, 8, 27) représentent les distances des planètes à la Terre, mesurées par rapport à la distance de la Lune à la Terre, prise comme unité : Lune 1, Soleil 2, Mercure 3, Vénus 4, Mars 8, Jupiter 9, Saturne 27 (Timée, 36 d)[11]. Aristote fait, le premier, un exposé critique de la notion pythagoricienne d'harmonie des sphères :
La représentation pythagoricienne de l'univers comme une harmonie a eu tellement de succès dans l'Antiquité que Boèce, au début de son Institution musicale (I,2), en fait l'une des trois parties de la musique — dans sa célèbre tripartition entre musica mundana (musique du monde, ou harmonie des sphères), musica humana (musique de l'homme, c'est-à-dire harmonie intérieure qui unit les parties de l'âme et les éléments du corps) et musica in instrumentis (musique instrumentale, au sens où nous l'entendons aujourd'hui). Le succès de cette représentation du monde, véhiculée par toute la tradition antique reprise par Boèce, ne faiblira pas pendant le Moyen Âge. Kepler, dans son Mysterium cosmographicum (1596), met en relation les aspects (rapports angulaires des planètes) dont parlent les astrologues et les intervalles musicaux. L'opposition (planètes à 180°) : rapport du cercle entier à sa moitié : 2:1 : octave ; le trigone (planètes à 120°) : rapport de l'ensemble à la plus petite partie : 3:2 = quinte ; le carré (planètes à 90°) : rapport de l'ensemble à la plus grande partie : 4:3 = quarte. Surtout, dans ses Harmonices mundi (1619), Kepler fonde la musique céleste, non plus sur les distances entre planètes, mais sur la vitesse des planètes, en fonction de la deuxième loi de Kepler (loi des aires : la vitesse d'une planète devient donc plus grande lorsque la planète se rapproche du Soleil.). La planète la plus lointaine du Soleil, Saturne, à son aphélie, couvre chaque jour 106 secondes d'arc d'ellipse ; à son périhélie, 135 ; cela équivaut, à 2 secondes près, à un rapport de 4 à 5, qui est la tierce majeure. Jupiter donne la tierce mineure, Mars la quinte, la Terre le demi-ton, Vénus la dièse, Mercure l'octave augmentée de la tierce mineure. Kepler suppose que le ton de Saturne à son aphélie est le sol, en son périhélie le si. L'ensemble des planètes constitue un chœur où la basse est dévolue à Saturne et Jupiter, le ténor à Mars, l'alto à la Terre et à Vénus, le soprano à Mercure[13]. Michael Maier, médecin et alchimiste, en 1622 (Cantilenae intellectuales de phoenice redivivo. Chansons intellectuelles sur la résurrection du phénix) pense qu'il y a « une tierce » de la Terre à la Lune, « une quinte » de la Lune au Soleil, et une octave du Soleil jusqu'au ciel. La loi de Titius-Bode (1772) est une nouvelle théorie de l'harmonie planétaire. En 1702, James Gregory avait noté la suite des nombres 4, 7, 10, 15, 52, 95, pour représenter les distances des planètes en 1/10 du rayon de l'orbite terrestre (soit 15 millions de kilomètres). En 1766, Titius énonce une relation empirique entre les rayons des orbites des planètes et planètes naines du système solaire, basée sur une progression géométrique de raison 2. En 1772, Bode reprend la théorie : si l'on considère 4 comme la distance moyenne entre Mercure et le Soleil, et si l'on ajoute la série 3 x 1, 3 x 2, 3 x 4, 3 x 8, etc. on obtient des chiffres qui se rapprochent de très près de la distance moyenne réelle des planètes par rapport au Soleil, calculée en unités astronomiques (distance moyenne entre la Terre et le Soleil). [pas clair]Mercure : distance = 4 (0,387) do Vénus 7 (0,723) ré' Terre 10 (1,000) sol Mars 16 (1,524) do Cérès 28 (2,77) ré Jupiter 52 (5,203) mi bémol' Saturne 100 (9,539) mi Uranus 196 (19,182) MI+ Neptune 388 (30,055) LA' Le cristallographe Victor Goldschmidt préféra utiliser comme unité astronomique, non la distance de la Terre au Soleil, mais la distance de Jupiter au Soleil (Über Harmonie im Weltraum, in Annalen der Naturphilosophie, t. IX, 1910, p. 51-110). Il obtint Soleil 0, Jupiter 1, Saturne 2, Uranus 4, Neptune 6, Pluton 8, et, pour les planètes intérieures petites et denses à rotation lente : Soleil 0, Mercure 1/13, Vénus 1/7, Terre 1/5, Mars 1/3, Jupiter 1. Finalement : Soleil 0, Jupiter 1/2 do, Saturne 1 do', Uranus 2 do, Neptune 3 sol, Pluton 4 do. En 1781, la découverte d'Uranus, confirme la loi de Bode. Mais en 1846, la découverte de Neptune montre que la loi de Titius-Bode ne s'applique plus au-delà d'Uranus. En 2023, des astronomes découvrent, à cent années-lumière de distance, un système solaire (HD 110067) comportant six planètes dont la durée de révolution va de 9 à 55 jours. Les quatre planètes les plus proches de leur soleil ont une résonance orbitale de 3/2 tandis que celle des planètes plus éloignées est de 4/3. De tels rapports en nombres entiers sont similaires à ceux qui définissent une harmonie musicale. Ce système de six planètes semble avoir existé depuis des milliards d'années, ce qui est extrêmement rare[14]. « Harmonie des sphères » au sens largeAu sens large, l'expression « musique céleste » désigne la simultanéité et la concordance de sons venus du ciel. Un texte bouddhique soutient ceci : « Le moine, (...) avec cette claire, céleste oreille surpassant l'oreille des hommes, entend à la fois les sons humains et les sons célestes, fussent-ils loin ou près[15]. » De façon plus large encore certains auteurs pensent à l'harmonie cosmique. Dans le Gorgias (507 e), Platon parle des « sages » qui, voyant le lien qui unit la terre et le ciel, les dieux et les hommes, ont donné au Tout le nom de kosmos (ordre, arrangement). Notes et références
AnnexesBibliographie
Articles connexes
Liens externes
Information related to Harmonie des sphères |