Miracles scientifiques du CoranL'expression « Miracles scientifiques du Coran » (la sunna, ensemble des traditions du prophète de l'islam, y est parfois rattachée), connue en arabe sous la forme i’jaaz ilmy (ou « exégèse scientifique » tafsîr ‘ilmî) désigne un courant d'interprétations dont le but revendiqué vise explicitement à démontrer l'origine divine de l'islam, en se basant sur des extraits, plus précisément des versets (ʾāyāt), du Coran, texte sacré de cette religion, comme des anticipations de découvertes scientifiques récentes. Cette approche, aussi appelée concordisme islamique, considère que « tout savoir scientifique, y compris les découvertes les plus récentes, est contenu dans les textes islamiques »[1]. Ce mouvement lié au wahhabisme ne doit pas être confondu avec le dogme de l'inimitabilité du Coran (arabe : إعجاز / iʿǧāz), selon lequel aucune œuvre humaine littéraire ne peut imiter le Coran (tant sur le fond que sur la forme). La notion de « Miracles scientifiques du Coran » a fait l'objet de nombreuses critiques, tant par des intellectuels musulmans que par des scientifiques, qui dénoncent une démarche au seul service du prosélytisme, et dénuée de tout fondement scientifique. Histoire de ce courant d'interprétationAux origines du concordismeLes premiers auteurs pouvant être associés à une recherche de « miracles scientifiques » dans les textes islamiques sont des théologiens du Moyen Âge. Par exemple, Al-Ghazali (Algazel) écrit au XIe siècle : « Tout ce que l’esprit humain a du mal à comprendre, ce qui fait l’objet de théories ou de considérations divergentes, tout cela est envisagé par le Coran qui en parle par signes ou allusions »[1]. Toutefois, selon Dominique et Marie-Thérèse Urvoy, certains adeptes du concordisme islamique revendiquent des auteurs anciens, qui n'allaient pourtant pas aussi loin que ce qu'ils affirment. Par exemple, al-Razi « ne cherche jamais à prendre un texte révélé comme expression d'une doctrine, voire d'une vérité scientifique »[3]. La recherche d'auteurs anciens semble donc surtout une façon de légitimer cette nouvelle approche, « qui se détache presque complètement de la tradition »[4]. Le concordisme vit un tournant lors du réformisme musulman du XIXe siècle. La campagne de Bonaparte en Égypte en 1798 fait prendre conscience au Moyen-Orient musulman de la supériorité technique de l'Occident chrétien, causant ainsi un choc culturel. Certains penseurs musulmans évoquent un retard intellectuel du monde musulman[1],[Note 1], à l'instar de Jamal Eddine al-Afghâni (1839-1897) qui parle de « profondes ténèbres ». Plusieurs réactions émergent progressivement. Un courant (salaf) prônera un retour aux « origines » de l'islam, tandis qu'un autre regardera vers les méthodes et concepts occidentaux[5], quitte à s'éloigner des modes traditionnels d'interprétation (exégèse-tafsîr)[4]. Une nouvelle exégèse se met progressivement en place, revendiquant la présence de vérités scientifiques dans le texte coranique, l'objectif étant d'encourager les croyants à se former aux sciences modernes[1]. Le premier commentaire scientifique du Coran est Le dévoilement des secrets sur l’illumination coranique touchant les corps célestes, la terre, les animaux, les plantes et les minéraux de Muḥammad ibn Aḥmad al–Iskandarānī, en 1880[4]. L'une des plus importantes publications est celle de Tantawi Jawhari (1862-1940) en 26 volumes. Ce dernier s'appuyait sur des livres de vulgarisation, ou manuels scolaires, mais sans être spécialiste des connaissances évoquées. Pour Charfi, cette forme de lecture coranique se rapproche plutôt d'une « coranisation de la science »[1]. De fait, cet ouvrage reçut de nombreuses critiques, même dans le monde musulman[Note 2],[4], qui restait divisé. Cet intérêt pour les sciences se retrouve plus tard chez Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans en Égypte en 1928, qui « n’admettait, parmi les vérités découvertes par les sciences positives, que celles qu’il considérait conformes aux préceptes du Coran »[5]. Essor dans les années 1970En 1976, Maurice Bucaille (1920-1998), médecin français rattaché à la cour du roi Fayçal d'Arabie saoudite, publie le livre polémique La Bible, le Coran et la Science[6]. Ses travaux rencontrent un écho auprès de personnalités du monde arabo-musulman, notamment le géologue égyptien Zaghloul El-Naggar (en), ainsi que son collaborateur le cheikh Abdul Majeed Zindani (en), un Yéménite charismatique[réf. nécessaire]. La publication de Bucaille est reçue comme un ouvrage partial dans les milieux académiques, défendant une démarche « dépourvue de toute rigueur scientifique »[4]. L'historien S. Nomanul Haq (en) de l'Université de Pennsylvanie, un des principaux critiques de Bucaille, attribue son succès à un « très profond complexe d'infériorité » partagé par certains musulmans s'étant sentis humiliés par le colonialisme, et voulant renouer avec les gloires passées des anciennes sciences arabes[7] et de l'âge d'or de l'Islam. Le concordisme se développe dans les années 1970, avec l'essor de l'islamisme dans les milieux intellectuels[1]. Pour Faouzia Charfi, « l’objectif n’est pas la science, mais des bouts de sciences exploités pour leurrer des lecteurs, par ce que Mohamed Arkoun qualifie de « manipulations fantaisistes » »[1]. Ainsi, en 1982, Abdelaziz Ibn Baz, grand mufti d’Arabie saoudite, « s’est rendu célèbre pour avoir émis une fatwa contre ceux qui remettaient en question l’affirmation coranique selon laquelle le soleil est mobile et la terre fixe ; à ceux-là, il réservait la sentence de l’« apostasie » »[5]. Années 1980 : le temps des conférencesAbdul Majeed Zindani (en) fonde en 1985, avec le soutien de la Ligue islamique mondiale (LIM), la Commission sur les Signes Scientifiques dans le Coran et la Sunna (en), basée en Arabie saoudite, principalement financée par le gouvernement saoudien. Il devient le directeur de cette institution, et continue à défendre un islamisme radical[Lequel ?][1]. Cette institution possède plusieurs antennes dans le monde arabe (Arabie saoudite, Égypte...), et même en dehors (Vienne)[4]. La Commission sur les Signes Scientifiques dans le Coran et la Sunna organise alors de multiples conférences dans le monde, où sont invités des scientifiques non-musulmans de spécialités diverses. Leur présence permet aux organisateurs de revendiquer une certaine crédibilité pour ces événements, qui affichent l'objectif d'approfondir les « miracles scientifiques » des textes sacrés islamiques. Les organisateurs de cette commission décrivent des échanges neutres, qui accueillent favorablement les informations contredisant le Coran. Cet élément étant remis en question par les scientifiques ayant participé (voir la section « Critiques du concordisme islamique »)[7]. De nombreuses interviews de spécialistes sont tournées à l'occasion de ces conférences, encore largement accessibles sur les plates-formes de vidéos en ligne (comme YouTube). La vidéo la plus médiatisée qui en résulte est Ceci est la vérité[Note 3], largement partagée sous forme de cassette, où Zindani (en) intervient auprès de scientifiques non-musulmans[7]. Influence sur le monde musulman d'aujourd'huiLe concordisme islamique est aujourd'hui dominant dans l'espace médiatique, investi par les prédicateurs[1]. Le grand nombre de sites internet à ce sujet montre une certaine popularité dans le monde islamique[Note 4]. En conséquence, pour Alexandre Moatti, « Le concordisme islamique est beaucoup plus prégnant, ne reposant pas sur une institution, mais est présent chez de nombreux acteurs de manière quasi intrinsèque »[8], l'islam refusant l'idée de « non empiétement des secteurs d'autorité entre science et religion »[9]. Il est devenu « acte de foi » pour ses défenseurs contemporains[5]. Pour Chiara Pellegrino, l'exégèse scientifique est « un des courants herméneutiques les plus pratiqués durant le XXe siècle »[4]. Les propos relatés ci-après (extraits de l'enquête de The Wall Street Journal de 2002[7]) illustrent l'intérêt actuel du monde musulman pour cette théorie :
D'autres éléments d'actualité illustrent la présence de ce phénomène aujourd'hui :
Critiques du concordisme islamiqueCritiques des milieux intellectuels musulmansLa démarche concordiste est critiquée par nombre d'intellectuels musulmans, par exemple :
Le site d'actualité musulman Oumma.com qualifie ces thèses de « Mirages scientifiques du Coran »[15] et dénonce l'absence de scientifiques de renom dans le soutien de cette théorie[16]. En , ce site dresse une mise en garde contre les promoteurs des « miracles scientifiques du Coran », en présentant ceux qui reviennent le plus souvent dans le débat public[16]. Critiques de scientifiquesAu sein du monde musulman francophone, les attaques les plus virulentes viennent de l'astrophysicien Nidhal Guessoum qui dénonce les promoteurs de cette théorie, pour leurs « bricolages scientifiques », « leurs connaissances scientifiques superficielles, médiocres, erronées, ou même obsolètes », ainsi que « leurs interprétations des versets coraniques souvent tendancieuses, pour ne pas dire tirées par les cheveux »[17]. La physicienne Faouzia Charfi rédige un ouvrage en 2013, intitulé La Science voilée, dans lequel elle s'élève aussi contre le « travail de sape des extrémistes religieux » à ce sujet. Elle y décrit l'expansion du concordisme dans le monde académique tunisien, et analyse les branches scientifiques impactées[18]. Enquête du Wall Street JournalEn 2002, le Wall Street Journal publie une enquête concernant les interviews de scientifiques diffusées à la suite des conférences internationales organisées par la Commission sur les Signes Scientifiques dans le Coran et la Sunna. Cette enquête intitulée Western Scholars Play Key Role In Touting "Science" of the Quran (Quand des intellectuels Occidentaux font du racolage pour la « Science » du Coran) fait ressortir trois éléments[7] :
Pour le Wall Street Journal, c'est lors de ces interviews que ces phrases anodines de scientifiques ont commencé à faire « grand bruit sur les sites web islamiques »[7]. Dénonciation d'un outil de prosélytismePour certains critiques de l’islam, tels que Majid Oukacha ou Waleed Al-Husseini, deux anciens musulmans, le concordisme islamique est aujourd’hui le principal fondement du prosélytisme musulman, une mise en scène privant le fidèle de son esprit critique[19],[20]. Selon eux, si certains textes de l'islam peuvent avoir une connotation violente, leur fournir de surcroît une validation scientifique constitue un pas décisif vers la radicalisation. Ils dénoncent l'aspect flou, voire « l'escroquerie » des passages revendiqués comme « miracles scientifiques »[19],[20], rejoignant l'analyse de l'astrophysicien musulman Nidhal Gessoum : « La plupart [des exemples de miracles scientifiques] sont ridicules, dérisoires. Deux ou trois semblent impressionner les gens, tenir un peu la route. Mais lorsqu'on les examine, on voit qu'il n'y a rien dans ces exemples qui prouverait [...] qu'il y aurait des connaissances scientifiques dans le Coran ou dans la Sunna »[21]. Dominique et Marie-Thérèse Urvoy remarquent que l'argumentation repose souvent sur l'affichage de très nombreuses « preuves » supposées, pour emporter l'adhésion du lecteur, malgré ses potentielles interrogations, certaines listes en dénombrant jusqu'à 1 500[3]. La démarche intellectuelle « est évacuée au profit d'un procédé de harcèlement mental et d'accumulation pour « sidérer », littéralement, l'interlocuteur »[3]. Pour ces mêmes auteurs, les « preuves » revendiquées relèvent autant d'une parenté affichée du texte avec une observation scientifique, que d'une singularité du texte lui-même. Ceux-ci évoquent ainsi le verset 15 de la sourate al-Fath dans laquelle les lettres du mot « hémoglobine » seraient présentes. Pour eux, les parentés affichées sont des « sollicitations conceptuelles ou même des rapprochement très superficiels », un même verset pouvant être pris pour des explications différentes[Note 5], et les singularités sont des coïncidences[3]. Principaux « miracles scientifiques » avancésLa Commission sur les signes scientifiques dans le Coran et la Sunna (en) affirme recenser de nombreux «miracles scientifiques» dans les textes sacrés islamiques. La physicienne tunisienne Faouzia Charfi analyse, dans son ouvrage de 2013, certains des points les plus fréquemment avancés[18]:
Majid Oukacha répertorie d'autres versets prétendument « miraculeux » récurrents dans les débats. Parmi eux, il critique[22] :
En mars 2024, France Info publie un reportage dénonçant une supercherie, à propos de vidéos montrant « des eaux d'océans qui ne se mélangent pas », présentées comme un « miracle de Dieu que de nombreux touristes viennent contempler ». France Info met en avant que brassage entre les eaux des océans est certain, et que les vidéos avancées sont des détournements d'images d'embouchures de fleuves lors d'évènements climatiques annuels (saison des pluies sur le Fleuve Jaune en Chine, ...)[24]. Autre exemple de manipulation : les « sept cieux »À plusieurs reprises, le Coran, comme dans la sourate 65:12, cite l'existence de sept cieux : « C'est Dieu qui a créé sept cieux et autant de couches terrestres. Et des cieux vers la terre descendent graduellement les arrêts souverains, afin que vous sachiez que Dieu a le pouvoir sur toute chose et qu'il embrasse tout de sa Science »[25]. De ces textes, a découlé une vision cosmologique musulmane[Note 6] inspirée de la vision géocentrique de l'astronome grec Ptolémée, c'est-à-dire une terre sur laquelle sont superposées sept sphères. Pour certains, « le chiffre sept prit valeur de symbole pour désigner les sept couches concentriques de l'enfer, et les sept paradis contigus »[25],[26]. Ghaleb Bencheikh évoque « une cosmologie naïve et hiérarchiquement ordonnée en sphères de la pensée antique et médiévale »[27]. De nombreuses théories ont été avancées pour faire coïncider l'univers à ce chiffre 7. Pour le physicien Béchir Torki, cela correspondrait au ciel terrien, au ciel lunaire, au ciel solaire, etc., le dernier ayant un âge supérieur à celui de l'Univers, «proposition qui ôte à l'explication proposée toute signification physique» selon Faouzia Charfi. Pour le prédicateur turc Adnan Oktar, ces «cieux» correspondent aux couches atmosphériques. Charfi reproche de «prendre en compte deux classifications différentes, celle des météorologues [composée de 5 couches], fondée sur la variation de la température selon l'altitude, et celle des radiophysiciens, qui mesure la concentration en électrons libres»[18]. Elle ajoute : « Cela ne gêne pas les auteurs. L'essentiel, encore une fois, n'est pas la cohérence de ce qui est exposé, mais le résultat. En dépit de toute logique, on change de critère en fonction du résultat (sept couches) que l'on veut obtenir[28]». Faouzia Charfi conclut ainsi : « On pourrait citer un grand nombre de sites faisant référence aux sept cieux, chaque auteur a son explication. Ils se critiquent les uns les autres sans donner d'argumentation scientifique. Le but est de montrer que Dieu n'a pas encore révélé tous ces secrets. Le croyant a-t-il besoin de telles élucubrations pour se convaincre ? La réponse est claire, et pourtant la toile en est inondée »[28]. Impasse du créationnismeCe concordisme, toujours créationniste, considère que l’intégralité de l’humanité descend d’Adam et Ève. Ce mouvement est donc mis en défaut sur l’évolution[18], pourtant consensuellement reconnue dans le monde scientifique actuel. Pour Faouzia Charfi, ce créationnisme « se trouvait déjà en creux dans l’émergence des Frères musulmans », et se diffuse dans les mouvements islamistes[29]. De fait, à l'heure actuelle, le créationnisme progresse en Turquie où ces thèses sont présentes dans les manuels scolaires, et où 75% des lycéens ne reconnaissent pas la validité du modèle évolutionniste[30]. Ce créationnisme musulman est aussi présent en France[31]. Le sociologue Réda Benkirane nuance toutefois en rappelant que plusieurs auteurs médiévaux musulmans avaient une vision naturaliste teintée d'évolutionnisme[32]. Articles connexesBibliographie
Notes et référencesNotes
Références
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