La rafle des 4 et 5 janvier 1944 s'est déroulée à Amiens et dans d’autres localités du département de la Somme. Elle avait pour but l’arrestation de tous les Juifs vivant encore dans le département.
Contexte historique
C’est en 1933 que l’Association cultuelle israélite de la Somme est créée et la synagogue d'Amiens inaugurée le 3 novembre 1935, en présence de Jean Moulin, alors secrétaire général de la préfecture. A partir de 1938, des réfugiés autrichiens et allemands arrivèrent à Amiens.
Le 27 septembre 1940 une ordonnance allemande établissait, en zone occupée, le premier statut des Juifs et l'obligation pour eux de se faire recenser au commissariat de police. Le 18 octobre 1940 une deuxième ordonnance plaçait sous séquestre les entreprises et biens appartenant aux Juifs absents ou arrêtés (aryanisation).
Dans le département de la Somme, 93 Juifs furent recensés en 1940. Un certain nombre de Juifs étrangers furent dirigés en décembre 1940 dans les camps du département de l'Yonne, dans les Pyrénées-Orientales etc.
Le 3 juin 1942, le commissaire de police d'Amiens ouvrait un registre pour la distribution des étoiles jaunes dont le port était imposé désormais aux Juifs. 49 d'entre eux présents encore dans le département de la Somme se virent attribuer ce signe infammant[1].
Le 18 juillet 1942, dans le sillage de la Rafle du Vel' d'hiv', sur ordre du Sicherheitspolizei Kommando (S.P.K.) de Saint-Quentin, la gendarmerie française procédait à l'arrestation de Juifs étrangers ou apatrides à Amiens, Pierrepont-sur-Avre et Ault. Ils furent dirigés vers le Camp de Drancy et de là vers les camps de la mort[2]. Les Juifs français, dans la Somme, échappaient au pire, provisoirement...
A l’été 1943, Alois Brunner arriva à Paris avec pour mission d’intensifier la déportation des Juifs résidant en France, français comme étrangers ou apatrides.
A partir de janvier 1944, il fit procéder à des rafles en région parisienne comme en province, à commencer notamment par les départements de l’Aisne, l’Oise et la Somme[3].
Déroulement
« A l’aube du 4 janvier 1944, la Gestapo procède à l’arrestation de tous les Juifs français ou non, encore vivants à Amiens et dans la région », écrivait Ginette Schulhof[4]. En réalité, ce fut la Feldgendarmerie qui mena la rafle[5].
Les Juifs arrêtés furent détenus à la gendarmerie d’Amiens, rue des jacobins où ils attendirent toute la journée debout dans la cour avant d’être conduit à la gare d’Amiens pour être acheminés en train au camp de Drancy. 4 personnes réussirent à s'enfuir et échappèrent à l'arrestation : les enfants Schulhof, Ginette, Gisèle et Pierre[6], et Marguerite Louria, née Aranias[7].
20 personnes furent arrêtées à Amiens parmi elles, une fillette de 14 ans qui tenta de s'échapper mais fut finalement arrêtée[8]. Deux personnes furent hospitalisées à Amiens. A ces Juifs amiénois, il faut ajouter trois Juifs habitant Rosières-en-Santerre dont un garçon de 9 ans et deux Juives habitantes de Bouquemaison près de Doullens qui furent conduits à Amiens après leur arrestation.
L’ensemble des Juifs fut acheminé au camp de Drancy par le train de 20 h 30. A la gare d’Amiens, une Juive arrêtée réussit à s’échapper grâce à l’aide d’un cheminot. Jusqu’à aujourd’hui, on ne sait pas ce qu’elle est devenue. 4 Amiénois arrêtés restèrent détenus à Drancy, parce que reconnus aryens ou conjoint d'aryen, les autres furent déportés à Auschwitz-Birkenau, le 20 janvier 1944 par le convoi n° 66, une Juive le fut par le convoi n° 67 du 3 février.
Le 5 janvier 1944, le préfet de la Somme, Charles Daupeyroux, après lui avoir téléphoné, écrivit au délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, à Paris, pour lui signaler l’arrestation des israélites du département de la Somme parmi eux se trouvant trois enfants, le délégué de l’UGIF qui devait être tenu en dehors de toutes mesures d’internement lui et sa famille et deux non Juifs. Il demandait au délégué général d’intervenir auprès des autorités supérieures allemandes pour faire libérer 8 personnes, les démarches effectuées auprès de la police allemande localement n’ayant pas abouti.
Liste des israélites arrêtés par les autorités allemandes le 4 janvier 1944[Note 1]
Nom
date et lieu de naissance
adresse
nationalité
internement / déportation
AARON Lucien
22 avril 1878 à Constantine (Algérie française)
44, rue des Trois Cailloux, Amiens
française
Interné à Drancy. Dirigé sur l’hospice Rothschild (hospice de la rue Lamblardie) à Paris (12e), le 5 février 1944, puis du 15 juin au 5 septembre 1944, 11 rue des Abondances à Boulogne-sur-Seine[9]. Libéré, rentré à Amiens début septembre 1944.
convoi 66 du 20 janvier 1944. Interné à Auschwitz-Monowitz puis à Birkenau - matricule 172 830 à Auschwitz-Birkenau. Présence signalée à l'infirmerie du camp le 3 mai 1944. Décès enregistré sans date.
convoi 66 du 20 janvier 1944. Disparu à Auschwitz-Birkenau
WEILLER Benjamin
24 août 1866 à Krautergersheim (Alsace)
150 rue Laurendeau, Amiens
française
convoi 66 du 20 janvier 1944. Disparu à Auschwitz-Birkenau
WEILLER née HANEAU Estelle
2 septembre 1867
150 rue Laurendeau, Amiens
française
conduite à l'hôpital d'Amiens
WEILLER Marcel
11 février 1894 à Saint-Quentin
150 rue Laurendeau, Amiens
française
convoi 66 du 20 janvier 1944. Disparu à Auschwitz-Birkenau
La rafle d'Amiens eut un prolongement sur le littoral picard où 6 ou 7 Juifs de nationalité française furent arrêtés, internés à Drancy et exterminés à Auschwitz-Birkenau.
Nom
date et lieu de naissance
adresse
nationalité
internement / déportation
BEHAR Léa
1er juillet 1927 à Maubeuge
rue Nationale, Mers-les-Bains (Somme)
française
convoi 66 du 20 janvier 1944. Disparue à Auschwitz-Birkenau
BEHAR Mardochée
18 mai 1898 à Jérusalem
rue Nationale, Mers-les-Bains (Somme)
française
convoi 66 du 20 janvier 1944. Disparu à Auschwitz-Birkenau
BEHAR née FUENTES Victoria
15 décembre 1887 à Estaubrour
rue Nationale, Mers-les-Bains (Somme)
française
convoi 66 du 20 janvier 1944. Disparue à Auschwitz-Birkenau
DREYFUS Armand
1er octobre 1873 à Mertzviller (Bas-Rhin)
rue du maréchal Foch, Cayeux-sur-Mer (Somme)
française
convoi 66 du 20 janvier 1944. Disparu à Auschwitz-Birkenau
DREYFUS née FREY Fanny
6 novembre 1891 à Paris
rue du maréchal Foch, Cayeux-sur-Mer (Somme)
française
convoi 66 du 20 janvier 1944. Disparue à Auschwitz-Birkenau
Internée à Drancy le 5 janvier 1944. Matricule : 10 997. Convoi 66 du 20 janvier 1944 ? Disparue à Auschwitz-Birkenau ? Indiquée comme morte sur la « liste des déportés et internés israélites du département de la Somme », dressée en 1947 par Lucien Aaron, président de la communauté israélite de la Somme.
A-t-il été raflé ? Aucun document le concernant (banque de données Yad Vashem et Mémorial de la Shoah). Indiqué comme mort sur la « liste des déportés et internés israélites du département de la Somme », dressée en 1947 par Lucien Aaron, président de la communauté israélite de la Somme. Décédé à Eu (Seine-Maritime), le 14 octobre 1946[15]
Lieux de mémoire
A Amiens, à l'arrière de l'UFR des Arts de l'Université de Picardie Jules-Verne (UPJV), le 9 mai 2011, fut inauguré par Gilles Demailly, maire d'Amiens, en présence de Ginette Hirtz-Schulhof et de Gisèle Blum-Schulhof, le « square du Souvenir de la rafle du 4 janvier 1944 » qui rappelle ce tragique événement. Une stèle, sur laquelle sont inscrits les noms des Juifs amiénois raflés ce jour-là, a été dévoilée[16],[Note 9].
A Bouquemaison, sur le monument aux morts sont gravés le nom de Jeanne Zachayus , épouse Rakhowitz et de sa fille Ginette Rakhowitz, victimes du nazisme, gazées à Auschwitz le 23. 01. 1944.
A Rosières-en-Santerre, sur le monument aux morts sont gravés les noms de la famille Wanjberg.
Notes et références
Notes
↑Liste établie par le cabinet du préfet de la Somme.
↑Recueilli par la famille Schulhof, sa mère étant détenue à la prison d'Amiens, puis déportée
↑Par le jugement du tribunal civil d'Amiens du 4 juin 1943, il ne pouvait être reconnu comme appartenant à la « race juive », son père étant enfant naturel de père inconnu, il n'avait pas trois grands-parents juifs et son épouse étant aryenne.
↑Président-fondateur de la communauté israélite de la Somme.
↑Recensé en tant que Juif en 1940 (A.d. Somme 26 W 210) et après le 6 novembre 1942 (A.d. Somme 25 W 92).
↑Cette stèle n'existe plus au 8 janvier 2024, elle a été remplacée par une plaque de rue sur laquelle est inscrit : « square du Souvenir de la rafle du 4 janvier 1944. »
Références
↑ David Lee Rosenberg, « L'Étoile jaune dans la Somme : mise en place et résistance » in Bulletin de la Société des antiquaires de Picardie, Amiens, juillet 2016
↑David Rosenberg, « L’Ombre de la Rafle du Vel’ d’hiv’ dans la Somme, : la rafle des Juifs étrangers et apatrides en juillet 1942 », in Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie du 1er semestre 2014, Amiens février 2015 – (ISSN0037-9204)
↑Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz, la « Solution finale » de la question juive en France, Paris, Fayard, 2001 p. 330
↑ Ginette Hirtz, Les Hortillonnages sous la grêle, Histoire d'une famille juive en France sous l'Occupation, Paris, Mercure de France, 1982, p.92
Le Courrier picard des 3, 4, 5, 7, 9 et 11 mai 1945, « Rescapée d'Auschwitz », témoignage de Renée Louria.
Françoise Bouygard, Les Bûcherons de Cazaux-Debat, des Autrichiens dans la Résistance 1934-1945, Paris, Editions Tirésias, 2013 p. 100 à 110 (ISBN2-915 293-82-1)
Ginette Hirtz, Les Hortillonnages sous la grêle, Histoire d'une famille juive en France sous l'Occupation, Paris, Mercure de France, 1982 (ISBN2 - 7 152 - 0 014 - 5).
Serge et Beate Klarsfeld, Mémorial de la déportation des Juifs de France, 1978, réédition complétée par Serge Klarsfeld, 2012
Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz, la « Solution finale » de la question juive en France, Paris, Fayard, 2001 p. 330 (ISBN2 213 60 183 6).
Renée Louria, Les Russes sont à Lemberg, Paris, Gallimard, 1979, numéro d'édition : 25 524.
David Lee Rosenberg, « L'Ombre du Vel' d'Hiv' dans la Somme : la rafle des "Juifs étrangers et apatrides" en juillet 1942 » in Bulletin de la Société des antiquaires de Picardie, Amiens, février 2015.
David Lee Rosenberg, « L'Etoile jaune dans la Somme : mise en place et résistance » in Bulletin de la Société des antiquaires de Picardie, Amiens, juillet 2016.
Claude Watteel, A la Recherche de Cécile, Paris, Rue de Seine, septembre 2022 (ISBN978-2-493 270-27-6).
Nino Winograd, Un convoi de déportés juifs : le transport Drancy-Auschwitz du 20 janvier 1944, mémoire de master 1 sous la direction de Jean Quellien, professeur d'histoire à l'université de Caen-Basse-Normandie, 2008-2009